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    John Simmons (1823-1876), Ici vit Titania, 1872.

     

    Sous un voile luminescent, dans une clairière où s'épanouit la magie des anciens mondes, évolue Titania, l'un des esprits féeriques les plus sensuels et fascinants du folklore anglo-saxon. Reine du Petit Peuple et ambivalente héroïne du Songe d'une nuit d'été de William Shakespeare (1564-1616), elle incarne le mystère de la plus longue nuit de l'année, celle du solstice d'été ou fête du soleil purificateur et fécondant.

     

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    Edward Robert Hughes (1851-1914), Midsummer Eve, 1908, préraphaélisme.

     

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    Le solstice d'été fut célébré dans toute l'Europe pré-chrétienne (mais aussi par les peuples amérindiens) et « christianisé », du moins en apparence, en nuit de la Saint-Jean. Toujours vivantes dans les pays baltes, les territoires scandinaves et dans plusieurs régions de France et d'Europe, les festivités se déroulent entre le 21 et le 25 juin. Elles évoquent les « esprits brûlants », ceux des feux sauvages qui jaillissent dans l'obscurité de la nuit, les êtres intermédiaires et les divinités du paganisme, à l'instar de Janus Bifrons, le dieu romain des portes, des seuils et des passages.

     

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    Le pendant de la Saint-Jean d'été (Saint Jean-Baptiste) est la Saint-Jean d'hiver (Saint Jean-l'Évangéliste), fêtée le 27 décembre. Ces deux fêtes marquent la résurgence d'une mémoire archaïque, indispensable pour assurer la compréhension des cycles du Temps.

     

    Parèdre de Vesta, la déesse du feu, du foyer, des villes et de la terre profonde dont les célébrations se déroulaient vers la mi-juin, Janus, le maître des clefs, veille sur le feu sacré et les mystérieux passages guidant l'initié à travers les deux portes solsticiales. Il est celui qui règne sur la « Voie des Dieux » et les chemins initiatiques de l'année.

     

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    Sous son obédience, le feu déploie sa crinière d'or qui symbolise le soleil régénéré, sortilège de puissance.

     

    Au solstice d'été, les peuples anciens rendaient hommage au Soleil, le maître des moissons passées, présentes et futures. Les célébrants actuels perpétuent les gestes associés à cette magie de la terre et du ciel, à la fois intime et collective.

     

    La nature est à l'apogée de sa puissance. On célèbre le soleil à son zénith tout en prenant conscience de son déclin. Comme les jours raccourcissent après la nuit de Midsummer (appelée aussi Litha, Alban Hefin, Adonia, Jani, Kupala...), les rituels pré-chrétiens du solstice d'été incluaient un combat symbolique entre le dieu du chêne (maître de l'année croissante) et le dieu du houx (maître de l'année décroissante). Ce dernier remportait la victoire et régnait sur les forces de l'année jusqu'au solstice d'hiver (Yule).

     

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    La roue de l'année

     

    Dans la tradition celtique, le feu s'élève à partir de sept essences considérées comme sacrées : le chêne, le hêtre, le bouleau, le pin, le frêne, l'orme et le tremble. Autour du bûcher de Midsummer, se dressent neuf pierres spiralées, imprégnées de la magie des éléments. Les jeunes filles en font le tour, une baguette d'orpin à la main. Les garçons portent des torches et certains d'entre eux, choisis pour la circonstance, aident les jeunes filles à « chevaucher le feu » quand elles ont fini de danser autour des pierres gardiennes.

     

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    La veille du Solstice est appelée « Jour des Herbes ». Herbes et fleurs sont tressées en couronnes, en guirlandes, entrelacées pour former des bouquets dont les vertus guérisseuses et protectrices sont réputées optimales. Les femmes parent leur chevelure avec des couronnes parfumées, les hommes avec des guirlandes de feuilles de chêne.

     

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    Goutte de soleil en suspension dans une gangue brillante, l'ambre possède une valeur sacrée, très recherchée à la période du solstice d'été.

     

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    De même qu'à Samhain (31 octobre) et à Beltane (30 mai), le voile entre les mondes s'affine à Midsummer. Les légendes relatent qu'on peut apercevoir des représentants du Petit Peuple sur les chemins et que les esprits des défunts traversent plus facilement la frontière qui les sépare des vivants. Les grimoires murmurent aussi que si l'on piétine du millepertuis le soir de Litha, on se retrouvera happé au pays des fées...

     

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    Sir Joseph Noël Paton (1821-1901), artiste écossais préraphaélite. « The Fairy raid : carrying off a changling-Midsummer eve », 1867. Kelvingrove art gallery and museum, Glasgow.

     

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    Sir Joseph Noël Paton : Elfes et Fées.

     

    Si le 21 juin est aussi la fête de la musique, ce n'est pas un hasard... La musique a toujours accompagné les célébrations du solstice en créant une ivresse enchantée, à l'instar des mouvements du feu, et en ouvrant les portes d'un cycle incantatoire qui rend hommage au soleil et à son avatar, la flamme, divinisée depuis l'aube des temps.

     

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    Dante Gabriel Rossetti (1828-1882), Préraphaélisme, « Le Charme de la Mer ».

     

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    Charles Cottet (1863-1925), Les feux de la Saint-Jean, 1901.

     

    Dans l'Europe chrétienne, le 24 juin, on célébrait autrefois « Monsieur Jean. » On le célèbre encore sur les places des villages, dans les clairières et les lieux élevés, lieux de rencontre privilégiés entre le ciel et la terre : collines, rochers, montagnes, promontoires naturels ou taillés par la main de l'Homme.

     

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    Édition du 30 juin 1912 du Petit Journal, quotidien parisien fondé en 1863 par Moïse Polydore Millaud (1813-1871).

     

    Dans les campagnes, comme à Noël et à Pâques, les enfants accomplissaient une tournée de quête pour récolter l'aumône nécessaire à l'élaboration de la fête et des feux. Aux dires des Anciens, conteurs et folkloristes, les feux qui s'allumaient à la tombée du soir se multipliaient sous les vivats de la foule et la terre vibrait d'une clameur que rien ne semblait pouvoir éteindre. Elle devenait le miroir du ciel étoilé dont elle happait les « clartés supérieures » pour en diriger la puissance vers les champs à féconder.

     

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    Les jeunes filles dansaient autour des grands bûchers. Si elles se rendaient auprès de neuf feux pendant la nuit de la Saint-Jean, elles étaient censées se marier dans l'année.

     

    Afin de protéger les troupeaux contre les maléfices et des maladies, les paysans faisaient sauter les animaux par-dessus les braises rougeoyantes.

     

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    Dans plusieurs régions de France, comme en Bretagne et en Corse, on conservait un tison du feu de Saint-Jean que l'on plaçait dans un coffret, avec une part du gâteau des Rois et un morceau de buis bénit le dimanche des Rameaux, pour repousser les orages violents.

     

    L'expression « Il est allé ramasser un charbon de Saint-Jean » désignait une personne qui se couchait tard dans la nuit. Les charbons de Saint-Jean possédaient, dans l'esprit des populations, des propriétés magiques. En Bretagne, un charbon recueilli dans les cendres du tantad, le feu de joie, était censé protéger l'habitation contre les incendies, les orages violents et la foudre. Les vieux ouvrages rapportent « qu’en balançant les nouveau-nés devant la flamme de trois tantads, on les gardait à tout jamais contre le mal de la peur. ».

     

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    Roses de Simon Saint-Jean (1808-1860).

     

    On suspendait au sommet des bûchers de Saint-Jean des guirlandes de fleurs, et notamment des roses, dotées de pouvoirs apotropaïques (qui détournent les maux). On faisait danser les lumières, virevolter les tisons et les brindilles enflammées. De longs rubans rougeoyants formaient dans les vergers et les champs une chorégraphie sacrée. Les fiancés passaient entre deux rangées de torches dressées pour attirer la protection et la prospérité sur leur union future.

     

    On élisait une reine et un roi de la Jeunesse que l'on parait de fleurs sauvages et de feuilles de chêne. Entourés de chanteurs et de danseurs itinérants, ils sautaient par-dessus les braises du plus grand feu.

     

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    A Paris, sous l'Ancien Régime, la foule assistait à l'allumage du feu de la Saint-Jean sur la place de Grève (actuelle place de l'Hôtel de Ville) par le roi de France accompagné de sa cour. Philippe Walter, dans son ouvrage intitulé Mythologie chrétienne : Fêtes, rites et mythes du Moyen Âge, nous précise que « Louis XI, Henri II et Louis XIV respectèrent cet usage. » Ils ne furent pas les seuls.

     

    « Au milieu de la place de Grève était placé un arbre de soixante pieds de hauteur, hérissé de traverses de bois auxquelles on attacha cinq cents bourrées et deux cents cotrets ; au pied étaient entassées dix voies de gros bois et beaucoup de paille. Cent vingt archers de la ville, cent arbalétriers, cent arquebusiers, y assistaient pour contenir le peuple. Les joueurs d’instruments, notamment ceux que l’on qualifiait de grande bande, sept trompettes sonnantes, accrurent le bruit de la solennité. Les magistrats de la ville, prévôt des marchands et échevins, portant des torches de cire jaune, s’avancèrent vers l’arbre entouré de bûches et de fagots, présentèrent au roi une torche de cire blanche, garnie de deux poignées de velours rouge ; et Sa Majesté, (le roi Charles IX), armée de cette torche, vint gravement allumer le feu. » Jacques-Antoine Dulaure, Histoire physique, civile et morale de Paris depuis les premiers temps historiques jusqu'à nos jours. Paris, Guillaume,‎ 1829.

     

    Louis XIV fut le dernier monarque à allumer le feu de la Saint-Jean. Le prévôt des marchands et les échevins s'acquittèrent ensuite de cette tâche.

     

    Dans les Vosges, dans le Poitou, en Moselle, etc... on enflammait une roue de charrette entourée de paille avec un cierge en cire d'abeille. La roue brûlante et dorée, image du soleil en mouvement, était promenée dans la campagne afin de fertiliser les champs, d'accroître la vigueur sexuelle des animaux qui l'approchaient et d'attirer les énergies bienfaisantes sur les couples qui renouvelaient leurs vœux ou qui s'étaient formés dans l'année. Cette tradition de la roue enflammée, réminiscence de cultes druidiques, fut également vivace en Allemagne et dans les Pays Nordiques. Elle existe toujours.

     

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    Dans les cultes druidiques, on allumait des « roues solaires » le long des voies sacrées. Ces roues qui embrasaient le paysage jusqu'à l'horizon célébraient Teutatès, le père du feu, protecteur des enfants nés dans l'année.

     

    Les célébrations joyeuses de la Saint-Jean évoquent d'anciens rites d'exorcisme, associés à des sacrifices d'animaux de grande ampleur. On enfermait des animaux vivants, jugés nuisibles, dans des sacs de toile, et on les brûlait vifs pour éloigner les maladies et les créatures maléfiques. Ainsi, de nombreux chats, des renards, des serpents, des crapauds, des rongeurs, des oiseaux et même des ours payèrent, au milieu des festivités, un lourd tribut.

     

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    Victimes des superstitions et des peurs irrépressibles, les chats noirs furent les victimes expiatoires les plus recherchées. Sur de nombreuses places de village, la coutume voulait que treize chats noirs, censés incarner Lucifer et ses meilleurs lieutenants, brûlent chaque année dans le feu de Saint-Jean.

     

    Mon papa m'a raconté qu'il avait caché, entre 1936 et 1938, avec son frère et d'autres enfants, autant de chats que possible dans le grenier familial au moment de la Saint-Jean. Près de Tarbes, dans les Hautes-Pyrénées, les pauvres félins continuaient d'être jetés dans les réminiscences des feux de joie. Un jour, un voisin a voulu battre mon père et son frère pour récupérer les chats. Mon grand-père s'en est mêlé, d'autres voisins ont ajouté leur grain de sel, certains en faveur des enfants, les autres non et une partie du village a failli se bagarrer violemment... Cette histoire de chats et la cruauté de gens qui, n'hésiteraient pas, j'en suis persuadée, à balancer dans le feu un enfant ou un adulte si ça devait servir leurs intérêts, les a profondément marqués. Mon père, mon oncle, mon grand-père me l'ont racontée comme ils m'ont raconté la guerre et les souffrances vécues. Mon grand-père pensait qu'être incapable d'empathie envers les animaux, ne pas s'interroger sur leurs souffrances était la porte ouverte aux pires cruautés envers toute espèce vivante.

     

    Combien de chats et d'animaux sauvages ou domestiques périrent dans les flammes au fil des siècles ? Nul ne le sait mais on peut lire dans les registres de la ville de Paris: « Payé à Lucas Pommereux, l’un des commissaires des quais de la ville, cent sous parisis pour avoir fourni, durant trois années finies à la Saint-Jean 1573, tous les chats qu’il falloit audit feu, comme de coutume, et même pour avoir fourni, il y a un an où le roi y assista, un renard pour donner plaisir à Sa Majesté, et pour avoir fourni un grand sac de toile où estoient lesdits chats. » Et quand le roi y assistait, on ajoutait aux chats des animaux plus sauvages : « ours, loup, renard, dont l’autodafé constituait un divertissement de haut goût ». Les cendres des animaux étaient aussi censées faire fuir les revenants et les êtres féeriques.

     

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    John Simmons (1823-1876) : détail de l'oeuvre intitulée « Hermia et Lysandre » (extrait du Songe d'une nuit d'été).

     

    Entretenue par les sermons de l'Église, la peur des populations se cristallisait autour de « l'élément sauvage » et la nécessité de combattre une myriade d'êtres réputés malfaisants au moment de la Saint-Jean. On craignait les dragons, à la voracité sans limites et propagateurs d'un feu incontrôlable, les loups verts, sortes de loups-garous à la peau couleur de feuillage, les chats démons, les sorcières cannibales ou métamorphosées en diverses créatures qui tenaient sabbat sur les montagnes, les bêtes rousses aux griffes acérées et les âmes errantes, susceptibles de venir demander des comptes aux vivants. L'Église faisait tout pour lutter contre les souvenirs du paganisme, encore puissamment ancrés dans la géographie magique des terroirs et l'inconscient collectif mais cela ne fonctionna pas... La féerie n'a jamais cessé de chuchoter à l'oreille de ceux qui écoutent plus avant et refusent de se laisser enfermer dans un cercle d'hypocrisie et de paranoïa.

     

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    John Simmons, Le songe d'une nuit d'été, 1866.

     

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    Jules Breton (1827-1906), Les feux de la Saint-Jean, 1891.

     

    L'Église diabolisa également la danse, accusée de stimuler « les humeurs bestiales » du corps, de provoquer des avortements spontanés et de favoriser la venue des démons sur la terre. De nombreux ecclésiastiques dénoncèrent au moment de la Saint-Jean ces élans du corps qui aboutissaient (forcément) à des phénomènes de possession collective et au « mal Saint-Jean » : une forme d'épilepsie proche de la danse de Saint-Guy ou de Saint-Vit. Mais les populations continuèrent de virevolter autour des feux crépitants. Les jeunes et les moins jeunes chantèrent et dansèrent, unis par une ivresse sacrée proche de celle des Bacchanales de l'Antiquité.

     

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    « Le solstice d'été apparaît dans les rites médiévaux comme une période particulièrement dangereuse et fatidique. A milieu du VIIe siècle, une Vie de Saint-Éloi dénonce tous ceux qui, à la fête de la Saint-Jean, « célèbrent les solstices et se livrent à des danses tournantes ou sautantes, à des caroles ou à des chants diaboliques. » Ces interdictions laissent penser qu'au VIIe siècle de tels actes étaient fort répandus et que l'Église cherchait à les faire disparaître définitivement. Elle eut certainement beaucoup de mal pour atteindre son but si l'on en croit la chronique. » (Philippe Walter, Mythologie chrétienne, P. 153.).

     

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    La pierre Fritte de Brunoy, dans l'Essonne, auprès de laquelle se déroulaient des cultes druidiques solaires.

     

    L'Église s'efforça aussi de lutter, sans succès, contre les pèlerinages effectués près des vieilles pierres, le soir du solstice d'été ou pendant la nuit de la Saint-Jean. Elle maudit les concrétions minérales, les sources et les arbres sacrés à l'époque celtique mais de nombreuses personnes continuèrent de vénérer ces témoignages « vivants » des pratiques spirituelles de leurs ancêtres. La mémoire archaïque survécut, de même que les divinités de la fécondité et les rochers aux noms évocateurs.

     

    Dans plusieurs régions de France (Bretagne, Normandie, Auvergne...), on laissait des offrandes près de grandes pierres plates appelées « pierres aux Mânes » sur lesquelles venaient s'asseoir les âmes des défunts de l'année. On allumait un feu entre ces pierres et quand le feu s'éteignait, les braises recueillies étaient précieusement conservées car elles avaient la réputation de guérir la fièvre, de protéger de l'orage, de repousser les bêtes enragées et d'attirer la prospérité sur les foyers.

     

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    L'eau est aussi sacrée que le feu au moment du solstice d'été. Système circulatoire en mouvement constant, intimement associée aux pouvoirs de la Terre-Mère, elle est un passage vers le monde des esprits.

     

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    Ivan Ivanovitch Sokolov (1823-1918), les feux de Kupala (Saint-Jean slave) sur la rivière.

     

    L'eau a nourri les « herbes de la Saint-Jean » qui ont fait l'objet de nombreux récits mentionnant leurs vertus légendaires, leurs pouvoirs mystérieux et leur force protectrice. Il fallait les cueillir avant le lever du soleil pour conserver la rosée ou « eau de longue vie » déposée pendant la nuit sur les feuilles et les fleurs. Verveine, millepertuis, armoise, fenouil, menthes, fougères... avaient la réputation de chasser les démons, de guérir la fièvre et d'annihiler le pouvoir mortifère des plantes vénéneuses.

     

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    La Saint-Jean actuelle tisse, entre les croyances d'autrefois et la modernité, un lien riche d'enseignement. En Espagne, on pratique toujours la coutume du « bouquet protecteur ». Elle consiste à cueillir, le soir du 23 juin, du romarin, du fenouil, de la mauve, des feuilles de fougère mâle, des roses sauvages, de la menthe et du millepertuis afin de composer un bouquet qui passera la nuit dans un vase posé sur le rebord de la fenêtre. Le matin du 24 juin, on se nettoie le visage avec l'eau aromatique et on suspend le bouquet derrière la porte de l'habitation pour repousser les sorcières, les voleurs et les personnes jalouses.

     

    Le soir de la Saint-Jean, au coucher du soleil, on allume les feux (cacharelas, en Galice) destinés à absorber les esprits malveillants et à dissiper l'influence des meigas (les fées malfaisantes). On mange des sardines grillées sur des braises, accompagnées de pain de maïs (boroa) et de vin rouge. On boit aussi la «Queimada», boisson galicienne typique réalisée avec de l’eau-de-vie et du sucre, mélangés dans un récipient en terre cuite où macèrent des écorces de citron et d’orange, du café très noir et/ou du vin rouge. Tout en récitant des conjurations devant le feu, on enflamme cette boisson qui signifie « brûlée ».

     

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    Image www.estaentumundo.com

     

    En Catalogne, le 23 juin, on honore une flamme qui brûle toute l’année dans une lampe accrochée au Castillet (le Musée Catalan des Arts et Traditions Populaires) à Perpignan. La flamme « sacrée » est régénérée avec des fagots de sarments de vigne et hissée au sommet du pic du Canigou, la montagne sacrée des Catalans (2784, 66 m). Elle est ensuite propagée dans les villages environnants et apportée jusqu'en Provence en témoignage de paix et d’amitié.

     

    Le « bouquet de Saint-Jean » se compose en Catalogne de quatre végétaux (noyer, millepertuis, immortelle, orpin) cueillis le matin du 23 juin. Accroché aux portes de l'habitation, le bouquet est réputé attirer le bonheur et la chance. Le soir de la St Jean, des petits bouquets décorés d'un ruban rouge et or sont vendus aux personnes qui participent à la fête.

     

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    En Bretagne, la Saint-Jean est accompagnée du fameux fest-noz ou « fête de nuit », manifestation folklorique classée par l'UNESCO, depuis le 5 décembre 2012, au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

     

    Les couronnes de fleurs accrochées au sommet du bûcher revêtaient jadis une importance très particulière. Elles étaient considérées comme des talismans contre les maladies du corps et les souffrances de l’âme. Les jeunes filles les suspendaient à leur poitrine avec une tresse de laine rouge, utilisée pour apaiser les migraines et les douleurs nerveuses.

     

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    Grands bûchers pyramidaux ou petits bûchers composés de fagots secs, de sarments de vigne et de bois aromatiques, les feux de la Saint-Jean attirent autour d'eux des ombres dansantes et des silhouettes colorées, joyeux fantômes qui s'éparpillent en rondes facétieuses.

     

    En Alsace et dans les vallées vosgiennes, des bûchers appelés « fackel » sont érigés sur les hauteurs. Ces monuments de bois à l'esthétique très travaillée sont érigés autour d'un mât en sapin. Il y a deux « fackel »  par célébration : un grand et un petit sur lequel le grand semble veiller. Le petit est allumé en premier. L'allumage du grand s'accompagne d'un bal et de feux d’artifice.

     

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    Le bûcher de la Saint-Jean dans la vallée de la Thur (Vosges). Photo Daniel Nussbaum.

     

    Ces constructions que l'on appelle aussi chavandes sont liées au culte de Belenos, le dieu gaulois du soleil.

     

    Tant de villages de France et d'Europe célèbrent la Saint-Jean qu'il faudrait écrire un très gros ouvrage pour en faire la liste.

     

    En Belgique, dans la ville de Mons, la tradition du feu de la Saint-Jean a pu renaître de ses cendres en 1990, après plus de cent cinquante ans de « sommeil », grâce à la mobilisation de la population. Les festivités sont rythmées par une traversée de la ville aux flambeaux et le boutage (allumage) du feu sur la Place Nervienne. Elles se dérouleront cette année les 27 et 28 juin. A Bergues (Flandre), la Saint-Jean est toujours célébrée le dernier samedi du mois de Juin.

     

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    Au Québec, la Saint-Jean désigne la fête nationale. Au début du XVIIe siècle, les Français apportèrent en « Nouvelle-France » les coutumes du « feu d'été ». En 1908, Saint Jean-Baptiste devient le patron du Canada français sur décision du pape Pie X et en 1925, le 24 juin fut institué comme jour férié. En 1977, la Saint Jean d'été devint officiellement la fête nationale du Québec.

     

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    Ivan Ivanovich Sokolov, Kupala, 1856.

     

    Les peuples slaves continuent de célébrer « Kupala », ou « Ivan Kupala », la nuit de la Saint-Jean, sous l'obédience des Ancêtres. Ils honorent le feu et l'eau, le soleil et la lune, le ciel et la terre et ceux qui leur ont octroyé du lait, des fruits et des troupeaux abondants. Ils prient pour les moissons futures. Pendant la nuit de Kupala, on échange aussi des cadeaux et des promesses d'amour. En Russie, en Ukraine, en Pologne, en Biélorussie, etc... la Saint-Jean d'été est en quelque sorte assimilée à la Saint-Valentin. En Finlande et en Lituanie, c'est un jour férié et une fête très importante pour la cohésion sociale.

     

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    Autour des brasiers qui font palpiter leurs crinières d'étoiles et de feux follets, on salue le règne de Kupala, la déesse slave des herbes, de la magie, de l'amour charnel et du solstice d'été. (La Déesse, peinte en 1897 par Wojciech Gerson (1831-1901), artiste et historien d'art polonais.).

     

    En Russie, en Pologne, en Lettonie, en Estonie, en Islande... on danse autour d'un poteau qui symbolise l'Arbre de Vie. On se baigne dans les rivières. Les jeunes filles, vêtues de blanc, laissent glisser des fleurs blanches, des couronnes de fleurs sauvages et des petites bougies à la surface de l'eau.

     

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    Image trouvée sur le net, j'ignore qui en est l'auteur.

     

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    La nuit de Kupala, par Anastasia Chemikos (anastasiachemikos.com)

     

    On entreprend aussi la quête de la fleur de fougère, fleur légendaire dotée de propriétés magiques bienfaisantes qui est censée ne pousser qu'une fois par an, la nuit du solstice d'été.

     

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    Fleur de fougère pendant la nuit de la Saint-Jean, 1875, par Witold Pruszkowski (1846-1896). Musée national de Varsovie.

     

    Cette fleur est d'importance capitale dans la mythologie slave, en Europe de l'Est et pour le peuple tzigane. « La fleur de fougère est une fleur enchantée, qui la cueille connaît la richesse, son avenir et celui de tous les hommes... » Partir à l'aventure pour la trouver est aussi le prélude à des jeux amoureux.

     

    Dans de très anciennes légendes, son emplacement est révélé à une jeune fille innocente par la Sorcière du Sapin, appelée Grand-Mère aux yeux perçants. Elle scintille comme un diamant, elle attire les rayons lunaires qui soulignent ses courbes féeriques, elle est plus précieuse que tous les châteaux, les joyaux et la soie la plus fine. Certains donneraient tout, même leur âme pour la posséder, ne fut-ce qu'un instant, mais l'innocente résiste à la tentation de la cueillir. L'avoir contemplée représente pour elle le plus merveilleux des présents.

     

    En Lettonie, la fleur de fougère fleurit sur les pas de Mère Fortune. Sa lumière d'or peut offrir d'innombrables richesses, stimuler la guérison, attirer l'amour et la fécondité. On la nomme aussi « fleur des devineresses ».

     

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    Laurits Andersen Ring (1854-1933), peintre symboliste danois. Soir d'été sur le fjord de Roskilde, vers 1885.

     

    En Suède, au Danemark, en Finlande, la Saint-Jean (Johannus) est appelée la « nuit blanche »car la nuit est particulièrement claire et brillante. Le soleil est couché mais il ne plonge pas suffisamment sous la ligne d'horizon.

     

    Les festivités s'accompagnent d'un grand nettoyage des maisons. On balaye dans le sens du soleil, on change les rideaux, on décore les pièces principales avec des bouquets composés de rameaux de bouleau, de lilas, de roses, de fleurs sauvages et de feuilles de merisier à grappes.

     

    La nuit de la Saint-Jean est fêtée au bord des lacs où l'on dresse de longues perches décorées de fleurs et de feuillages. On fait des libations à la terre avec de la bière et on offre de la tarte aux fraises aux lutins (comme en Islande, le Petit Peuple est très respecté). On rend également hommage au drapeau national.

     

    En Pologne, la Saint-Jean est la fête de Kupala (appelé aussi Lada). Kupala est cette fois-ci un dieu masculin, celui du soleil, du bonheur, de la beauté, de la jeunesse et de l'amour. Son nom apparaît dans les vieilles chansons populaires qui célèbrent le soleil renaissant après le long hiver des contrées du nord. Les jeunes filles portent des robes blanches et des ceintures d'armoise. Elles s'assemblent autour d'une « mère » qui pratique une forme de divination chamanique dans les flammes et les braises.

     

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    La poésie du feu est universelle et la célébration du soleil aussi. Toutes les civilisations ont vénéré l'astre doré et son avatar, la flamme dansante qui symbolise la renaissance et la continuité. Le soleil était sacré dans l'Égypte ancienne (Rê, Râ, Amon, Atoum), chez les Sumériens (Utu), les Babyloniens (Shamash l'omniscient), les Perses (Mithra), les Mayas (Kinich Ahau ou dieu G), les Aztèques (Tonatiuh, Huitzilopochtli « colibri de la guerre et du soleil »), en Chine (Chen-Noug, protecteur du feu du solstice et de la terre défrichée avec la triade feu/soleil Zhurong, Suiren et Huilu et tant d'autres dieux qu'il est impossible de les citer), au Japon (Atago le veilleur, Amaterasu la fondatrice), dans la Grèce antique (Hélios, Apollon), en Inde (Surya), dans les tribus celtiques (Belenos) et dans les pays slaves (Svarog, dieu soleil descendu sur la terre « sous la forme d'une larme incandescente »)...

     

    Les Incas, grands adorateurs du soleil, nommèrent la flamme divinisée « Nina ». Au solstice d'été, le grand prêtre ranimait « Mosoc Nina », le feu sacré, précieusement gardé par douze vierges du soleil.

     

    Le soleil est toujours honoré, à travers les rituels néo-païens et les festivités ardentes de la Saint-Jean, même si ce n'est plus forcément « en conscience ». Je vous souhaite de trouver ce qui stimulera votre flamme et je remercie tous ceux qui ont pris de mes nouvelles quand mon ordinateur ne fonctionnait plus.

     

    Merci également pour votre soutien concernant ma santé. Je termine cet article dans un état peu enviable, avec l'aggravation de ma pathologie orpheline et de nombreuses zones d'ombre concernant le futur mais l'enthousiasme est profondément inscrit dans ma nature et ma flamme continue de briller et de danser...

     

    Ami(e)s sincères qui vous reconnaîtrez, je vous souhaite un Joyeux Midsummer !

     

    Cendrine

     

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    Plume

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