• Le Poème du Mardi : Sully Prudhomme, Le Cygne

     

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    Je continue avec plaisir la tradition du Poème du Mardi... avec des pensées pour Lady Marianne.

     

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    Frayer sur l'onde aquatique en compagnie d'un si bel oiseau... C'est une invitation au voyage poétique !

     

    Pour le mardi 28 janvier, j'ai choisi ce poème de Sully Prudhomme dont les mots glissent, aussi soyeux que des plumes de cygne, sur nos lacs imaginaires...

     

    « Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes,

    Le cygne chasse l'onde avec ses larges palmes,

    Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil

    À des neiges d'avril qui croulent au soleil ;

    Mais, ferme et d'un blanc mat, vibrant sous le zéphire,

    Sa grande aile l'entraîne ainsi qu'un lent navire.

    Il dresse son beau col au-dessus des roseaux,

    Le plonge, le promène allongé sur les eaux,

    Le courbe gracieux comme un profil d'acanthe,

    Et cache son bec noir dans sa gorge éclatante.

    Tantôt le long des pins, séjour d'ombre et de paix,

    Il serpente, et laissant les herbages épais

    Traîner derrière lui comme une chevelure,

    Il va d'une tardive et languissante allure ;

    La grotte où le poète écoute ce qu'il sent,

    Et la source qui pleure un éternel absent,

    Lui plaisent : il y rôde ; une feuille de saule

    En silence tombée effleure son épaule ;

    Tantôt il pousse au large, et, loin du bois obscur,

    Superbe, gouvernant du côté de l'azur,

    Il choisit, pour fêter sa blancheur qu'il admire,

    La place éblouissante où le soleil se mire.

    Puis, quand les bords de l'eau ne se distinguent plus,

    À l'heure où toute forme est un spectre confus,

    Où l'horizon brunit, rayé d'un long trait rouge,

    Alors que pas un jonc, pas un glaïeul ne bouge,

    Que les rainettes font dans l'air serein leur bruit

    Et que la luciole au clair de lune luit,

    L'oiseau, dans le lac sombre, où sous lui se reflète

    La splendeur d'une nuit lactée et violette,

    Comme un vase d'argent parmi des diamants,

    Dort, la tête sous l'aile, entre deux firmaments. »

     

    Sully Prudhomme (1839-1907), Le Cygne, poème issu du recueil « Les Solitudes » paru en 1869.

     

     

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    -René Armand François Prudhomme, dit Sully Prudhomme ou Sully-Prudhomme (1839-1907), fut un poète et un philosophe très apprécié en son temps, premier lauréat du prix Nobel de Littérature, en 1901.

     

    -Désirant devenir ingénieur mais obligé d'arrêter ses études scientifiques en raison de problèmes oculaires, il fut diplômé en droit et travailla chez un notaire. Sa vocation littéraire fut encouragée par son appartenance à une société étudiante : « La Conférence La Bruyère » où la lecture de ses poèmes reçut un bel accueil.

     

    -Le critique littéraire et écrivain Romantique Charles Augustin Sainte-Beuve (1804-1869) salua la qualité de son premier recueil, intitulé Stances et Poèmes et publié en 1865.

     

    -Sully Prudhomme écrivit de nombreux poèmes dans la veine du Parnasse puis il se consacra avec vigueur à la philosophie.

     

    -Il fut élu membre de l'Académie française en 1881 et, le 10 décembre 1901, il devint le premier auteur à recevoir le Prix Nobel de Littérature. Avec l'argent dont il bénéficia, il fonda un prix de poésie et s'employa à encourager les jeunes écrivains.

     

    -En 1902, il créa la Société des poètes français avec ses amis Léon Dierx et José-Maria de Heredia. Généreux et sensible, écœuré par les injustices, il fut l'un des premiers partisans de Dreyfus et donna cours, tout au long de sa vie, à sa passion pour les arts. De santé très fragile, il ne se maria jamais et n'eut pas d'enfants. Il mourut le 6 septembre 1907 après une longue série d'attaques de paralysie. Il repose au cimetière du Père-Lachaise.

     

     

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    Incarnation de la beauté, de la pureté, de l'élégance, le Cygne en sa blancheur glisse sur le miroir des eaux et représente l'harmonie pour de nombreuses civilisations. Il est également perçu comme un symbole d'amour éternel. En effet, le cygne est monogame et grâce à son long cou doté de 24 vertèbres souples, quand il s'approche d'un cygne aimé et que leurs becs se touchent, leurs silhouettes forment un cœur.

     

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    ©Kirt Reinert

     

    Le cygne est par excellence une créature du Sidh ou Sidhe, l'Autre Monde Celtique. Lié au Sidh de manière subtile, il est un enchanteur et le passager d'un univers magique qui se compose de territoires associés à la sylve et d'espaces aquatiques mystérieux.

     

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    Les habitants du Sidh se métamorphosent pour se rendre dans le monde humain ou pour en revenir et plusieurs d'entre eux choisissent, à cet égard, de revêtir l'apparence du cygne. Ainsi, les femmes cygnes des mondes celtiques et nordiques sont-elles de puissantes enchanteresses, des prophétesses et des gardiennes des secrets offerts par les dieux.

     

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    ©Kirk Reinert

     

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    En Irlande, le thème magique du cygne est inhérent à la légende des filles du roi Llyr. En Scandinavie, dans la chanson mythique du forgeron Volund, le héros éponyme épouse une femme cygne et ses frères s'unissent à des femmes cygnes que l'on peut assimiler à des Walkyries.

     

    Les Femmes Cygnes, les Bansidh (messagères du Sidh), les Walkyries sont des entités liées au Destin. Au service d'Odin, le seigneur des dieux nordiques, elles survolent les champs de bataille et attirent les âmes des guerriers les plus valeureux pour les emmener au Walhalla, la halle des héros afin qu'ils participent au Ragnarök, le Crépuscule des Puissances.

     

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    Les jeunes femmes cygnes, 1894, par Walter Crane (1845-1915)

     

    Les Walkyries (Valkyrja en vieux norrois), « celles qui désignent ceux qui sont occis », ont souvent un corps de cygne et peuvent reprendre à leur guise forme humaine. Ce corps se nomme âlptarhanni : « chemise de cygne ».

     

    Souvent, dans les mondes du Nord, un héros rencontre un dieu ou une déesse qui a pris la forme d'un cygne. C'est le cas de Bran, héros voyageur irlandais qui, dans le Voyage ou l'Épopée de Bran, fait la connaissance du dieu de la mer Manannán Mac Lir, doté de plusieurs apparences animales. Il est tour à tour cygne blanc, dragon, loup, cerf aux cornes d'argent, phoque et saumon tacheté...

     

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    Dans l'Antiquité gréco-romaine, le cygne est l'oiseau familier de Léda, fille du roi Thestios d'Etolie. Considérée comme « la plus belle femme de Grèce », elle fut aimée de Zeus qui vint à elle sous l'apparence d'un cygne. Elle fut la mère des Dioscures, les jumeaux divins Castor et Pollux.

     

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    Léda et le Cygne par Léonard de Vinci (1452-1519), vers 1515-1516.

     

    Oiseau du Passage, le Cygne est lié aussi bien à la Lune qu'au Soleil. Symbole alchimique, il représente la puissance de transformation du Mercure Primordial, il est « positif » mais pour les Chrétiens, le cygne est beaucoup plus ambivalent. Il est l'emblème du Christ qui agonise sur la croix, ce qui l'associe à la lumière céleste et il est également considéré comme une image des faux dévôts. Le cygne était rejeté du Paradis en raison de l'importance qu'il possédait dans les anciens mondes païens. Pour les chrétiens, les enchanteresses du Nord n'étaient que de viles sorcières et le cygne, un oiseau capable d'apporter la damnation !

     

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    Sous son aspect solaire, le cygne est l'attribut des dieux Apollon et Balder. Dans la mythologie gréco-romaine, Apollon est le Soleil, le dieu de la divination, de la musique, des arts et des archers, le frère jumeau de Diane/Artémis, la Lune et Balder, fils d'Odin (seigneur des dieux) et de Frigg (maîtresse de la fécondité), dans la mythologie nordique, est le dieu de la jeunesse et de la lumière.

     

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    Revenons à sa symbolique pré-chrétienne. J'aime particulièrement la légende d'Aengus, le dieu irlandais de l'Amour, des Songes et de la Beauté.

     

    Aengus (Oengus ou Mac Oc), le fils du dieu suprême Dagda, avait vu le jour en Irlande, à NewGrange, dans le Comté de Meath et fut élevé parmi les Tuatha Dé Danann, les dieux ancêtres magiciens, appelés « gens de la déesse Dana ».

     

    Chaque nuit, au creux du sommeil, Aengus rêvait d'une ravissante jeune femme à la peau douce et nacrée, aux longs cheveux dorés et aux yeux brillants et sombres comme de l'obsidienne ou du jais. Son cou oscillait gracieusement. Elle souriait puis semblait triste et elle l'appelait avec sensualité pour qu'il la rejoigne. Le cœur d'Aengus s'affolait. Il croyait se rapprocher d'elle et soudain, elle s'évaporait dans l'atmosphère comme un fantôme.

     

    Aengus se réveillait, enfiévré et pendant la journée, il la cherchait mais quand le soir venait, il était toujours seul et dévoré par l'intensité de son désir et de son amour. Au fil du temps, il se dit qu'il ne la trouverait jamais et il en fut si triste que tout dieu qu'il était, il sombra dans une mélancolie qui l'affaiblit considérablement.

     

    Les Tuatha Dé Danann, les ancêtres dotés de magie qui l'avaient élevé, s'émurent de sa situation. Ils se lancèrent à leur tour dans des recherches et trois ans plus tard, ils parvinrent à trouver la magnifique jeune femme. Il s'agissait d'une fée, sensible et farouche, qui vivait près d'un lac. Elle se nommait Caer et elle était victime d'un sort qui la changeait en cygne le jour. Le sort ne pouvait être brisé même par des dieux aussi puissants que le Tuatha Dé Danann car de ce sort dépendait un équilibre dans le monde magique. Caer avait été choisie quand elle était fillette. Elle ne reprenait forme humaine que pendant la nuit mais elle ne pouvait quitter l'environnement du lac aussi était-elle dans l'impossibilité de se rendre auprès d'Aengus dont elle était tombée amoureuse à travers les rêves.

     

    Les Tuatha Dé Danann s'empressèrent d'envoyer un messager auprès d'Aengus qui recouvrit sa vitalité dès qu'il sut que Caer existait bel et bien et qu'elle pensait à lui. Mais pour vivre et s'accoupler avec elle, il devait accepter de subir le même sort. Il le fit sans la moindre hésitation et sans regret aucun. Il devint cygne le jour afin de voguer sur l'eau du lac avec Caer et chaque nuit, Aengus et Caer s'aimaient sous leur apparence humaine. Ils eurent une jolie lignée d'enfants magiques...

     

    Sur ces notes romantiques, je vous souhaite une belle dernière semaine de Janvier. En attendant les charmes et les giboulées de Février, je vous adresse mes meilleures pensées !

     

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    ©Liga Klavina

    Plume

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  • Commentaires

    24
    Lundi 10 Février 2020 à 12:38

    un petit coucou Cendrine en ce début de semaine,chez nous c'est la pluie aujourd'hui mais pas de vent,je te souhaite un très bon lundi,bises

    23
    Samedi 8 Février 2020 à 05:17

    Juste pour te dire 

    Le printemps revient doucement 

    Avec lui j'espère du mieux pour ta santé 

    Gros bisous 

    Vendredi 7 fevrier 2020

    22
    Dimanche 2 Février 2020 à 16:42
    De belles légendes pour illustrer un poème sensuel et coloré. Le cygne est un symbole de beauté que toutes ces légendes celtes ont su exploiter magnifiquement!
    21
    Vendredi 31 Janvier 2020 à 10:15

    La création du jour

    Bonjour Cendrine,  

    merci de m'avoir donné de tes nouvelles, je vois que cela ne s'arrange pas..

    Bonne journée, gros bisous

    20
    Jeudi 30 Janvier 2020 à 20:57

    Bonsoir Cendrine,

    Un poème que j'avais publié aussi sur mon blog il y a quelques années déjà ... Excellent choix et tes photos sont superbes !!

    Je te souhaite une très bonne soirée, grosses bises, Véronique

     Rambouillet : Cygnes tuberculés : Un caractère de cochon !

    19
    Jeudi 30 Janvier 2020 à 10:26

    La création du jour

    Bonjour Cendrine,  

    un beau soleil et 8° ce matin..

    J'espère que tu vas bien en ce moment..

    Bonne journée, gros bisous

    18
    timilo
    Jeudi 30 Janvier 2020 à 07:05

    Magnifique poème, le cygne est bien l'oiseau royal et majestueux...

    J'aime ce poète

    Douce journée CENDRINE

    Bisous

    timilo

    17
    Mercredi 29 Janvier 2020 à 16:16

    tu as bien raison d'aimer la dernière légende, c'est la plus romantique 

    encore un bel article bien illustré

    bises et bonne fin de journée 

    16
    Mercredi 29 Janvier 2020 à 14:21

    coucou Cendrine, majestueux ces cygnes ,très belles photos,super article,il fait un beau soleil chez nous par contre il y a de l'eau,je te souhaite un très bon Mercredi,bises

    15
    Mercredi 29 Janvier 2020 à 09:35

    La création du jour

    Bonjour Cendrine,  

    un petit coucou pour te déposer de gros bisous

    14
    Albireo
    Mercredi 29 Janvier 2020 à 07:28

    Tout en grâce et poésie ! Merci fée à la plume aussi légère que celle d'un cygne...

    13
    Mercredi 29 Janvier 2020 à 00:25
    colettedc

    Magnifique choix, Cendrine et de lumineuses photos !

    Mille bravos et bon mercredi,

    Gros bisous♥

    12
    Promeneur75
    Mardi 28 Janvier 2020 à 19:19
    11
    Promeneur75
    Mardi 28 Janvier 2020 à 19:16

    Merci de nous avoir offert un nouvel articles poétique en nous présentant un auteur dont on a entendu le nom mais hélas pour moi, que je n'avais jamais eu l'occasion de lire. Poème prélude à votre superbe description du mythe du cygne à travers le monde. Belles légendes que vous savez si bien résumer . Mais de la part d'une fée, c'est sans doute bien votre domaine aussi smile.

    Merci de vos photos et de la constance de qualité de votre blog.

    10
    Mardi 28 Janvier 2020 à 18:45

    Quel magnifique billet sur le thème du cygne, un oiseau si gracieux... Que de beauté !

    Bisous ma chère Cendrine et merci pour toutes tes jolies illustrations postées sur mon blog

    9
    Mardi 28 Janvier 2020 à 15:47
    Renée

    Très joli choix de poème avec vraiment de super cliché de cet animal qui est tellement beau. Tes explications me laisse pantoise c'est super bien documenter sacré boulot milles bravo...Bisous

    8
    Mardi 28 Janvier 2020 à 15:23

    Je suis revenue te faire un coucou  au fil de tes jolies photos

    Bonne journée, 

    7
    Mardi 28 Janvier 2020 à 13:15

    C'est un oiseau que j'adore ♥ tellement de grâce. Très belles photos et images pour illustrer toutes ces légendes.

    Après un peu de soleil en fin de matinée, de nouveau la grisaille et la pluie pas loin mais il fait doux pour la saison !

    Je te souhaite un doux après midi et une belle soirée à vous deux

    Gros bisous à vous partager

    6
    Mardi 28 Janvier 2020 à 10:53

    BLa création du jourLa création du jour

    Bonjour Cendrine,

    magnifique article sur le cygne avec une poésie, et toutes tes illustrations..

    Excuse moi pour les deux toiles mais mon ordinateur fonctionne très mal..

    Bonne journée, bons baisers

    5
    Mardi 28 Janvier 2020 à 09:37

    Bonjour

    superbe poéme et très belles photos j'aime bise raymonde

    4
    Mardi 28 Janvier 2020 à 08:13

     je relit avec plaisir c emagnifique poéme 

    je coit que nous avons choisit les oiseaux ce matin 

     j aime beaucoup les cgnes qui sont des oiseaux royaux 

     un bel hommage 

     

     ( j 'espére que vous allez bien tous les deux  , on espére tous les beaux jours  pour du renouveau ) 

     bonne journée pour toi 

     bise Cendrine 

     kénavo

    3
    Mardi 28 Janvier 2020 à 08:00

    Très bel article  , j'aime beaucoup les cygnes  et leur grâce 

    En plus le texte de Sully leur rend un bel hommage 

    Merci à toi  pour ce beau partage 

    Bises Cendrine

     

     

    2
    Richard LEJEUNE
    Mardi 28 Janvier 2020 à 07:27

    Mais quelle idée bienvenue, chère Cendrine, de donner à (re)lire ce magnifique poème et d'ainsi rendre à Sully Prudhomme un peu de l'aura qu'il a malheureusement perdue ...

     

    J'espère que vos ennuis domestiques s'apaisent, que les autorités compétentes reconnaissent enfin le bien-fondé de vos réclamations et que votre santé va très bientôt emboîter le pas du renouveau printanier attendu par nous tous ... 

     

    Bien à vous,

    respectueusement,

    Richard

    1
    Mardi 28 Janvier 2020 à 06:39

    Hello Cendrine

    Ah la Gréce et le culte du corps ! C'est un signe de la civilisation moderne...

    bizz

    Pat

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