
Les orages règnent dans le ciel de Paris et le Génie de la Bastille, vigie dorée de la Liberté, veille au sommet de la Colonne de Juillet. Il inaugure cette promenade poétique et bien trempée qui nous fait découvrir la ville autrement.
Pendant que je photographie la colonne, mon esprit s'éloigne de toute connotation historique, ne songeant qu'au folklore de la pluie, ce fascinant hydrométéore chargé de purifier l'atmosphère. Ne disait-on pas que la Vierge et les déesses des anciennes mythologies lavent leur linge dans les nuages, que le Diable et sa femme se querellent, que les sorcières cuisent leur pain sur des pierres noires et que les renards s'accouplent!
Bien que destructrice à ses heures, la pluie est la sève du ciel et sans elle rien ne pousserait. Il suffit d'apprécier combien les arbres sont gigantesques et verdoyants cette année.
Ils forment une luxuriante toison devant l'Hôtel de Ville.
Certains d'entre eux atteignent presque le sommet des toits.
Pour nos ancêtres, la pluie tombait à cause de violentes querelles entre les dieux. Les dieux de la guerre jetaient leurs chars contre les nuages où s'affrontaient à coup d'éclairs. Thor, divinité nordique du tonnerre, créait la foudre avec son marteau Mjöllnir pour combattre les géants, forces du chaos.
Thor, peint en 1872 par le peintre suédois Marten Eskil Winge(1825-1896).
Les populations redoutaient les farouches Tempestaires ou faiseurs de tempêtes, réputés capables de commander le tonnerre, de diriger la grêle, de détruire les récoltes en les noyant sous des pluies diluviennes.
Les sorciers de la pluie se rendaient près d'une « font qui bout », mystérieuse fontaine sur le perron de laquelle ils versaient de l'eau en convoquant les puissances atmosphériques.
D'après la légende, la célèbre fontaine de Barenton, dans la forêt de Brocéliande, est une « font qui bout ». Elle abrite aussi les amours de l'enchanteur Merlin et de la fée Viviane.
(Merci à Elfie pour cette très jolie photo...)
Les meneuses et les meneurs de nuées battaient l'eau des fontaines et des mares, arrosaient des pierres au croisement de plusieurs voies telluriques ou escaladaient un cerisier magique...
D'après les almanachs et les ouvrages anciens, on provoquait la pluie en se rendant sous un chêne et en creusant un trou dans la terre avec une baguette fourchue. Puis, en versant du liquide dans le trou (eau, lait, sang, urine...) et en remuant la baguette d'une certaine manière, les nuages libéraient la pluie.
On pouvait aussi déclencher l'orage en plaçant dehors à Minuit un balai dans un seau d'eau, en dessinant une spirale de galets dans une prairie où dansent les fées, en cueillant treize fleurs bleues à la crête d'une colline...
En Afrique, on suspendait une pirogue miniature dans les branches d'un arbrisseau sacré.
Pour conjurer ces phénomènes, la croyance populaire préconisait d'allumer un cierge bénit, de préférence le cierge de la Chandeleur ou la chandelle de Brigit, la déesse blanche des temps anciens, de placer une crémaillère ou un trépied retourné sous un chêne, de sonner les cloches à toute volée ou de verser de l'huile dans un cours d'eau se jetant dans la mer...
Sainte-Agathe, célébrée le 5 février, était réputée, entre autres prodiges, repousser les giboulées, les orages de grêle et la pluie dévastatrice. Les premières gouttes de pluie tombant le jour de la Saint-Laurent (10 août) étaient censées apaiser les brûlures.
Lovées dans les pages des grimoires, les croyances d'antan continuent d'aiguiser l'imagination, la première des magies...
Dans les sociétés occidentales, la pluie influe plutôt de manière plutôt négative sur le moral des gens. Elle aiguise pourtant la sensibilité poétique. Elle recrée le paysage et pare la ville de couleurs électriques.
A la pointe de l'île Saint-Louis, elle enveloppe le chevet de Notre-Dame dans un camaïeu gris blanc.
On devine, dans un flou artistique, la dentelle d'arcs-boutants qui ceinture le choeur de l'édifice. La sublime flèche d'Eugène-Emmanuel Viollet le Duc (1814-1879) pique les nuages comme une aiguille d'argent.
Malgré les trombes d'eau, je contemple la Seine couleur « encre de tempête » mais quelques instants seulement...
Le crépitement mystérieux de la Seine me fait penser à la crue de 1910, tragédie qui métamorphosa Paris en spectrale Venise...
Crue du quai de Grenelle, photo des frères Neurdein, agence Roger Viollet, trouvée sur le site du Figaro.
La moitié du réseau Métropolitain de l'époque fut inondé ainsi que 20 000 immeubles parisiens et presque le double d'habitations en banlieue, sans oublier les disparus, les cultures détruites, les animaux noyés, les bâtiments ravagés...
Photo de l'agence Roger Viollet, trouvée sur le site du Figaro.
Photo de Maurice-Louis Branger, agence Roger Viollet, trouvée sur le site du Figaro.
La Seine grossit mais elle reste dans son lit et les bateaux attendent sagement à quai.
Quand l'eau et la berge se confondent...
La Gare d'Orsay, autrefois formidable « usine à voyager », dresse sous l'orage sa façade éclectique.
Cette ancienne gare, autrefois terminus de la Compagnie du Chemin de Fer de Paris à Orléans devait accueillir les visiteurs de l'Exposition Universelle de 1900. Émanation du goût architectural français, elle fut réalisée par Victor Laloux, Premier Grand Prix de Rome et concepteur de la Gare de Tours.
La passerelle Léopold-Sédar-Senghor, ancienne passerelle Solférino, s'élance au-dessus de la Seine, entre le Jardin des Tuileries et le Quai Anatole France. Elle offre sur la Seine et les variations de l'atmosphère une vue privilégiée.
Le Pont-Royal, photographié depuis la passerelle Sédar-Senghor.
Après le Pont-Neuf et le Pont-Marie, il est le troisième plus ancien pont de Paris. Il fut érigé, entre 1685 et 1689, à l'emplacement d'un vieux pont de bois et de l'ancien Bac des Tuileries. Financé par le roi Louis XIV, d'où son nom de pont Royal, il fut construit par Jacques Gabriel, Jules Hardouin-Mansart et François Romain.
La pluie redouble d'intensité et je presse le pas sur les pavés brillants, bien décidée à trouver refuge devant une tasse de chocolat chaud. Mon parapluie se gorge de vent et m'inspire quelques réflexions...
(Image trouvée sur le net.)
Le parapluie et l'ombrelle sont vraisemblablement originaires de Chine. Au XIIe siècle avant notre ère, un charpentier chinois offrit à son épouse une ombrelle ou « petite ombre » qu'il avait fabriquée pour se protéger du soleil. Les premières ombrelles étaient constituées de branches de santal et de bambou sur lesquelles on tissait un réseau de feuilles et de plumes. On les utilisait par grand soleil ou temps de pluie.
Dans le Japon du XVIe siècle, l'ombrelle devint un accessoire de mode. Mais le port de l'ombrelle et du parapluie revêtait aussi un caractère sacré. Les branches symbolisaient l'équilibre du cosmos et la « toile » protectrice, la voûte étoilée.
Dans l'Antiquité Gréco-Romaine, les ombrelles décorées étaient très appréciées pendant les spectacles et les jeux du cirque.
Dans l'ancienne Égypte, le parapluie était investi d'une valeur sacrée et associé à Nout, la déesse du ciel.
Nout arquée au-dessus de Geb, son époux, le dieu de la terre.
Nout, la déesse du ciel mystérieux et de la résurrection des morts, mère du soleil et des étoiles. Ses larmes font naître la pluie, son rire engendre le tonnerre. Elle ne touchait le sol que par l'extrémité des orteils et des doigts.
Les Égyptiens croyaient que son corps formait la voûte céleste, sorte de pont au-dessus de la terre. Le parapluie, mélange de bois précieux, de papyrus et de plumes de paon, était donc une représentation miniature de la déesse.
Les nobles seuls étaient autorisés à s'y abriter et le pharaon l'utilisait pour signifier son statut royal.
Le parapluie traversa les âges et ses légendes aussi. D'anciens almanachs rapportent que Saint-Médard, l'évêque de Noyon, fut surpris par un violent orage en se rendant à la cour du roi Clotaire Ier. Dieu lui envoya un aigle qui déploya ses ailes au-dessus de lui pour le protéger, un aigle-parapluie!
Ainsi, comme le dit le proverbe:
« Quand il pleut le jour de la Saint-Médard, (8 juin)
Pendant quarante jours il faut prendre son riflard. »
Mais il fallut attendre le XVIe siècle, en France, pour que Catherine de Médicis, à l'avant-garde des modes, fasse connaître l'ombrelle-parapluie. Cet objet dérivait de l'ombrellino, destiné à protéger les Papes, les Doges et les Cardinaux.
En 1705, un français nommé Jean Marius conçut un prototype de parapluie qui se pliait en trois parties pour être glissé dans une poche. Mais le premier parapluie « moderne » fut élaboré, en 1730, par un artisan parisien. Il utilisa une toile cirée pour remplacer les couvertures en cuir et en peau.
Le mot « parapluie » apparut en 1622 dans les Farces de Tabarin, célèbre bateleur du Pont-Neuf mais jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, le parapluie et le parasol désignèrent le même objet. Ils servaient « à se défendre du soleil et de la pluie ». (Dictionnaire de Richelet, 1680 et de Trévoux, 1777.)
Sir Jonas Hanway, un aventurier du XVIIIe siècle, introduisit le parapluie en Angleterre mais les fantasques sujets de sa Majesté n'acceptèrent pas facilement de porter « l'umbrella », jugeant que cet étrange objet leur donnait un air efféminé!
Le parapluie est désormais une institution au Royaume-Uni.
Il est indissociable de l'inoubliable Patrick Macnee dans le rôle de John Steed, l'agent secret de la série Chapeau melon et bottes de cuir.
Les superstitions entourant le parapluie
La plus connue d'entre elles consiste à ne pas ouvrir un parapluie à l'intérieur d'une pièce, sous peine d'attirer le malheur. Cette superstition qui date du XVIIIe siècle trouve son origine dans les nombreux accidents survenus lors des premiers usages du parapluie. Celui-ci se dépliait parfois brusquement et son armature blessait la personne se trouvant à côté.
L'ombre du parapluie était un espace tabou dans lequel il ne fallait pas entrer car les âmes s'y réfugiaient.
A Paris, la Maison Antoine est le plus ancien magasin de parapluies.
En 1745, Monsieur et Madame Antoine, originaires du Massif Central, s'installèrent sur le Pont-Neuf. Ils ouvrirent deux boutiques situées chacune à une extrémité du pont. Mais, à l'époque, les gentilshommes étaient les seuls à pouvoir acheter des parapluies. Les époux Antoine mirent alors au point un système de location de parapluies destiné à toute personne qui souhaitait franchir le fleuve.
En 1760, ils ouvrirent une boutique, dans le quartier du Palais-Royal, au numéro 26 de la galerie Montpensier. Dans ce lieu à la mode, promenade privilégiée des Parisiens, ils fabriquèrent des cannes et des parapluies. En 1885, leurs héritiers créèrent, au 10, avenue de l'Opéra un magasin qui existe toujours. On y trouve des parapluies, des cannes, des ombrelles et des gants de qualité.
La Maison Antoine fut acquise, en 1965, par la famille Lecarpentier, des fabricants de parapluies d'Orléans. (Image trouvée sur le net.)
Écrire à propos du parapluie me permet de vous montrer deux tableaux que j'aime particulièrement.
La Place de l'Europe, temps de pluie, 1877, par Gustave Caillebotte(1848-1894). (Art Institute, Chicago).
Dans le décor majestueux du Paris Haussmannien, la pluie engendre une atmosphère intimiste. Le cadrage est audacieux, proche d'une réalisation photographique. Dans ce Paris de la modernité, de l'éclairage au gaz, des omnibus et des trottoirs couverts d'asphalte, les personnages de Caillebotte vaquent à leurs occupations quotidiennes.
Les Parapluies, 1886, de Pierre-Auguste Renoir (1841-1919). National Gallery à Londres.
L'oeuvre se pare d'une séduisante tonalité bleutée et met en scène une foule animée sous une forêt de parapluies.
La pluie est ici un prétexte pour favoriser la rencontre amoureuse. Par galanterie, un homme propose d'abriter une jeune femme sous son parapluie. Notons que la petite fille, au premier plan, est ravissante et que son regard exprime une délicieuse intensité.
Ceux qui comme moi ont conservé leur âme d'enfant apprécieront Totoro et son parapluie!
Dans Mon Voisin Totoro, film d'animation de Hayao Miyasaki, un drôle d'esprit de la forêt tisse une amitié poétique avec la charmante petite Mei et sa soeur Satsuki...
Cet été à Paris, le parapluie est encore et toujours de mise! Mais il paraît que le soleil va bientôt briller...
A travers l'épaisse couche nuageuse, quelques rayons lumineux font scintiller la surface de l'eau. On aperçoit la coupole cuivrée de l'Hôtel de Salm, Musée de la Légion d'Honneur et des ordres de chevalerie.
La Seine vue depuis la pointe nord-ouest de l'île Saint-Louis. On aperçoit sur la droite la mystérieuse Tour Saint-Jacques.
Quai de Bourbon, le petit batelier du Franc Pinot rame sur fond de tempête.
Les gargouilles de Notre-Dame contemplent l'orage qui se réactive.
Mais de temps à autre, le vent violent souffle les nuages et une belle éclaircie apparaît.
L'orage n'a cependant pas dit son dernier mot... A peine le temps de gagner les Tuileries et la houle des nuages enveloppe ce beau vase aux têtes de bélier.
Le jardin se vide peu à peu...
La grande roue de la fête foraine aussi.
Mais dans tout ce gris éclate la chatoyante palette des roses, des églantines et des roses trémières.
Les Alcea Rosea, (plantes vivaces de la famille des Malvacées), dirigent leurs hampes robustes vers le ciel en colère et leurs pétales veloutés nous enivrent de couleurs.
Rose d'Outremer, passerose, primerose, rose papale ou bâton de Jacob, la rose trémière est une enchanteresse qui naît au gré du vent. Les Croisés des XIIe et XIIIe siècles ont bien fait de la ramener d'Orient.
La tradition rapporte que si on fait un voeu en jetant des graines d'alcea par-dessus son épaule gauche, on sera entendu par les fées...
Après cette promenade, dans la soirée, l'orage s'est dissipé. J'ai photographié ce ciel magnifique au-dessus de chez moi, à Sarcelles, dans le Val d'Oise.
Il n'y a pas que du béton à Sarcelles. Nous le verrons dans quelques temps...
A peine rentrée et déjà les nuages d'orage reviennent au galop...
Courage, monsieur le Soleil!
Bibliographie
J. P. CHASSANY: Dictionnaire de météorologie populaire. Maisonneuve & Larose.
Charles NISARD: Histoire des livres populaires ou de la littérature de colportage.Fac-sim. Paris: 2° éd. en 1 vol. de E. Dentu, 1864. Paris: Amyot, 1854. Fig.
Jacques PAYEN et Gordon RATTRAY TAYLOR: Les Inventions qui ont changé le monde. Le Parapluie. Sélection du Reader's Digest, 1982.
Jean VERTEMONT: Dictionnaire des mythologies indo-européennes.Faits et Documents, 1997.