•  

    Image001.jpg

     

    Au numéro 33 de la discrète rue du Champ de Mars, dans le 7e arrondissement de Paris, se dévoile un bijou d'architecture Art Nouveau. A quelques encablures de la Tour Eiffel et de l'agitation qui l'entoure, une grille jaillit comme un bouquet printanier, composant une écriture végétale aux fascinantes sinuosités.

     

    Image002.jpg

     

    Dans un article écrit quelques mois après la création de mon blog, j'ai relaté l'histoire des lieux et décrit les charmes de cette architecture « Modern Style ». J'ai souhaité vous faire redécouvrir ces beautés végétales deux ans plus tard, à travers de nouvelles photos et un texte « augmenté ».

     

    Image003.jpg

     

    Dans l'atmosphère apaisée de la rue du Champ de Mars, surgit une façade au décor inattendu, luxuriante forêt de fleurs pétrifiées.

     

    Image004.jpg

     

    Construit en 1904 par l'architecte Octave Raquin pour un certain Monsieur Bouvet, le bâtiment accueillit, pendant de nombreuses années, un collège privé, le Cours des demoiselles Longuet.

     

    Image005.jpg

    Octave Raquin, peint par Toulouse-Lautrec en 1901.

     

    Image006.jpg

     

    Octave Raquin fut l'un des collaborateurs de la Revue Blanche, une revue littéraire et artistique fondée en 1890 à Liège par les frères Natanson. Cette revue s'installa en 1891 à Paris où elle rivalisa avec le Mercure de France, d'où le nom de Revue Blanche (la couverture du Mercure était mauve...)

     

    Image007.jpg

     

    Après les étudiantes des demoiselles Longuet, les élèves du Cours Alfred de Musset s' établirent dans l'immeuble qui abrite aujourd'hui des appartements et une clinique de chirurgie esthétique. L'élégante façade de pierre est rythmée par des ouvertures de formes variées et de gracieuses ferronneries.

     

    Image008.jpg

     

    Des travées en saillie, des linteaux stylisés, des courbes oniriques, un épiderme de pierre sur lequel serpente la lumière... l'Art Nouveau s'exprime ici avec finesse, puissance et fluidité.

     

    Image009.jpg

     

    Les bow-windows -oriels en français- qui accentuent le mouvement ondulatoire de la façade sont particulièrement réussis.

     

    Ces avancées en encorbellement ou « fenêtres en arc » sont fréquentes dans l'architecture victorienne, le style Second Empire et l'Art Nouveau. Dans l'art anglais, trois termes désignent ces constructions et leurs variantes.

     

    Le bow-window ou « fenêtre en arc ».

    Le bay-window ou « baie vitrée avancée ».

    L'oriel-window ou « fenêtre en rideau ».

     

    Image010.jpg

     

    Grâce à la communication qui s'établit entre le regard et les courbes de l'architecture, la lumière naturelle est tissée comme une matière vivante et répartie, avec féerie et fonctionnalité, dans les différentes pièces de l'habitation.

     

    Image011.jpg

     

    Une élégante marquise en fer forgé et en verre accueille le visiteur. Tout comme les grilles de la porte d'entrée et les vantaux des portes latérales, elle est décorée de feuilles d'arums.

     

    Image012.jpg

     

    Dans sa robe de verre tendue de fer ou d'acier, la marquise dévoile ses volutes ouvragées. Elle désignait originellement une pièce de toile tendue au-dessus d'une porte pour se protéger des intempéries et du soleil. Elle était fréquemment utilisée sur les bateaux. En architecture, cet auvent vitré représente un abri et un élément décoratif.

     

    Image013.jpg

     

    La marquise de la Villa Majorelle, construite à Nancy entre 1901 et 1902 par Henri Sauvage (1873-1932) et Lucien Weissenburger (1860-1929).

     

    Image014.jpg

     

    La marquise du métro Abbesses, création d'Hector Guimard (1867-1942), est datée de 1900. Destinée à protéger les voyageurs des intempéries, elle couronne un édicule en fonte de fer érigé sur un soubassement de pierre. L'édicule se situait au départ sur le parvis de l'Hôtel de Ville (ancienne Place de Grève). Démonté en 1972 pour faciliter la construction d'un parking souterrain, il a été remonté à la station Abbesses, sur la ligne 12 (Mairie d'Issy - Porte de la Chapelle).

     

    Les piliers soutenant la marquise et la balustrade qui domine le soubassement évoquent de fines formes végétales. Il s'agit du modèle A de Guimard. Le modèle B possède une structure plus complexe, organisée autour d'une verrière à double pente inversée et d'une marquise aux bords plus chantournés. Je développerai cela à travers d'autres articles.

     

    Image015.jpg

     La marquise de la maison aux arums présente une bordure ondulée qui fait écho à la plasticité de la façade.

     

    Image016.jpg

     

    Par ses ondes raffinées et son riche décor floral, la porte latérale reflète aussi les liens qui unissent la Nature et l'Art Nouveau.

     

    Image017.jpg

     J'apprécie la qualité décorative du petit soupirail.

     

    Image018.jpg

     

    Dans les dernières décennies du XIXe siècle, l'admiration pour la Nature imprégna les travaux de nombreux artistes. Ils redécouvrirent la flore gothique dessinée par Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879) et s'émerveillèrent devant les estampes japonaises, diffusées par des marchands férus d'art asiatique.

     

    L'un d'eux, nommé Siegfried Bing (1838-1905), ouvrit à Paris en 1895 un magasin qu'il baptisa «Maison de l'Art Nouveau». Au numéro 22 de la rue Chauchat, dans le 9e arrondissement de Paris, ce lieu atypique devint un formidable espace de rencontre et de création artistiques. Détruit en 1922, il fut remplacé deux ans plus tard par un bâtiment Art Déco qui abrite aujourd'hui une Poste.

     

    Image019.jpg

    Voici l'affiche de l'exposition qui lui a été consacrée.

     

    Dans l'esthétique « Art Nouveau », la Nature est une source d'inspiration permanente. Ciselée et magnifiée à travers les bijoux de René Lalique, les vases des frères Daum et d'Émile Gallé, les boiseries de Louis Majorelle...

     

    Image020.gif

     Ce pavot en or, argent, émail et diamants brillantés, ciselé par René Lalique (1860-1945) en 1897, évoque l'éternel mystère féminin et se pare d'une dimension profondément sensuelle. (Photo de René-Gabriel Ojéda pour le site du Musée d'Orsay.)

     

    Image021.jpg

     « La Nigelle » est un vase créé vers 1900 par Émile Gallé (1846-1904), maître verrier passionné de botanique qui exploita, de manière onirique, les couleurs ambivalentes et les formes offertes par la Nature.

     

    Image022.gif

     Le vase aux primevères est l'une de ses oeuvres majeures. Le vert profond de l'objet, né d'une superposition de couches de verre saturé, rappelle les effets de matière des jardins gorgés d'eau et les ondulations de la lumière au début du Printemps.

     

    Image023.jpg

     Il incrustait dans la pâte de verre des fragments scintillants obtenus à partir d'oxydes métalliques « en suspension ».

     

    Image024.jpg

     Les frères Daum : Auguste (1853-1909) et Antonin (1864-1930) ont exprimé, à travers une galerie de lampes féeriques et de vases mystérieux, leurs affinités pour les formes sinueuses, le rêve et la translucidité.

     

    Image025.jpg

    Lampe perce-neige, 1905.

     

    Image026.jpg

     

    Ils accentuaient l'effet de perspective avec de l'acide et maîtrisaient à la perfection la technique des poudres colorées, émaillées et intercalées entre deux couches de verre.

     

    Image027.jpg

     Leurs vases aux compositions très complexes continuent de nous éblouir, comme en témoigne ce soliflore au long col, décoré d'arums et d'herbacées des marais. Il nous offre une palette de verts fantasmagoriques qui se détachent sur un fond blanc laiteux rehaussé de nuances rosées et violacées.

     

    Image028.jpg

    (Photo Bruno Piazza)

     Ébéniste et céramiste renommé, Louis Majorelle (1859-1926) fut initié à l'Art Nouveau par Émile Gallé et devint l'un des membres fondateurs de l'École de Nancy mais il s'en affranchit afin de créer son propre style avant-gardiste. Il a signé des compositions marquetées et vernissées, rehaussées de poudre d'or, à l'instar de cette chaise aux nénuphars (1903), de cette lampe aux nénuphars (1902 ou 1904) et de ce meuble aux pélicans (1925).

     

    Image029.jpg

    (Photo Hervé Lewandowski pour le musée d'Orsay)

     

    Image030.jpg

    (Photo C. Duranti)

     

    En étudiant les merveilles de la Nature, les artistes «Art Nouveau» ont inventé un vocabulaire esthétique fondé sur la sinuosité des lignes, la luxuriance du décor, la recréation de l'élément végétal avec des matériaux métalliques et la prédominance de l'ornement floral. Parées de feuilles et de fleurs, les façades des immeubles et des maisons nous invitent à explorer un univers sylvestre et fantastique.

     

    Image031.jpg

    La maison aux arums s'inscrit dans cette veine « symboliste », nourrie par la poésie et la littérature.

     

    Image032.jpg

     Le motif de l'arum se répète élégamment sur la façade en pierre, les clefs sculptées, les consoles, les ferronneries des portes et des fenêtres, les montants des bow-windows, les mosaïques du vestibule d'entrée.

     

    Image033.jpg

     

    L'arum possède une double nature. Cette fleur, dotée d'une étrange inflorescence, est à la fois perçue comme féminine et phallique. Au fil des siècles, elle apparut tantôt comme un symbole de pureté tantôt comme un emblème diabolique. On la retrouve sur les chapiteaux médiévaux où elle emprisonne l'innocent et jaillit de la bouche des démons mais on l'appelle aussi « Manteau de la Vierge ».

     

    Image034.jpg

    Tamara de Lempicka (1898-1980), étude d'arums.

     

    Dans les années 1900, elle était appréciée lors des fiançailles et des communions et souvent choisie pour décorer les bouquets de mariées. Dans le cas présent, il est vraisemblable qu'elle ait été associée aux jeunes filles du cours privé des demoiselles Longuet.

     

    Image035.jpg

    Edwin Longsden (1829-1891), portraitiste, peintre de genre et d'histoire anglais. Lys de l'Est.

     

    Image036.jpg

     

    Image037.jpg

     Symbole de pureté et de fécondité dans la Rome antique, l'arum était consacré aux divinités de la lune et du foyer. Offert pendant les mariages, il accompagnait aussi les festivités du solstice d'hiver.

     

    Image038.jpg

     Il existe de nombreuses variétés d'arums. L'arum des fleuristes, (zantedeschia ou calla) est le plus répandu. Originaire d'Afrique du sud, il est cousin de l'arum maculatum ou pied de veau, appelé aussi gouet.

     

    Image039a.jpg

    Zantedeschia albomaculata, espèce hybride. La planche est issue de l'Illustration Horticole (1860).

     

    L'arum appartient à la famille des Aracées. Il a de belles feuilles souples et sagittées (en forme de fer de lance) qui évoluent du vert sombre luisant au vert marbré de blanc en passant par le vert tacheté. Au Printemps, une spathe (grande bractée) en forme de cornet apparaît autour d'un épi jaune doré. L'ensemble forme un spadice. A la fin de l'été, les fleurs engendrent des grappes de baies rouges ou orangées très toxiques appelées « raisins de serpent ».

     

    Image040.jpg

    (Photographie Paul Henderson)

     

    L'arum jouait un rôle important dans la pharmacopée ancienne mais il fallait redoubler de vigilance en raison de sa toxicité. L'eau distillée de racines tubéreuses était utilisée comme lotion de beauté. Les racines longuement bouillies, torréfiées, râpées et passées au tamis donnaient une sorte de fécule, consommée sous forme de pain dans l'Antiquité.

     La teinture de racines est toujours prescrite en homéopathie. Elle est réputée décongestionner les voies respiratoires, calmer les saignements et les irritations de la peau.

     Il existe une variété d'arum très particulière, l'arum titan ou phallus de titan (Amorphophallus titanum), un arum géant qui ne fleurit que tous les quatre à cinq ans et qui exhale une odeur de cadavre.

     

    Image041.jpg

    (Arum titan, photographie US Botanic Garden)

     

    Image042.jpg

     

    Ce vase en majolique, en forme d'arum, fut créé vers 1900 par la manufacture autrichienne « Gerbing et Stephan ». Il traduit l'engouement de la Belle Époque pour la nature complexe de la fleur et de la femme, muses enveloppées de mystère, troubles et sensuelles créatures, hybrides et magiciennes... A l'époque victorienne, l'arum évoquait le sexe féminin. On glissait, pour la personne convoitée, des messages à caractère érotique à l'intérieur du grand cornet.

     

    Image043.gif

    Diego Rivera (1886-1957), Femme et arums.

     

    Artiste mexicain engagé, photographe, auteur de fresques et de peintures murales d'une taille surdimensionnée, Diego Rivera était l'époux de Frida Kahlo (1907-1954). Une exposition consacrée à ce couple mythique, intitulée Frida Kahlo/Diego Rivera l'art en fusion, s'est déroulée au musée de l'Orangerie du 9 octobre 2013 au 13 janvier 2014.

     

    Image044.jpg

    Vendeuse d'arums, 1943.

     Entité végétale aux courbes fantomatiques, l'arum au secret langage, celui des passions du corps et des mouvements de l'âme, semble avoir été la fleur préférée de Diego Rivera.

     

    Image045.jpg

    Nu aux arums, 1944.

     

    Image046.jpg

    Vendeuses d'arums, 1943.

     

    A plusieurs reprises, il a choisi de représenter dans ses tableaux un bouquet d'arums en guise de thème principal. Très utilisée pour décorer les maisons et les rues lors des fêtes populaires, l'arum apparaît comme l'une des fleurs symboliques du Mexique. L'artiste a souvent mis en scène une ou plusieurs jeunes indiennes en costume traditionnel, affairée(s) autour d'un gigantesque bouquet d'arums. L'atmosphère est énigmatique et le regard du spectateur, irrépressiblement attiré vers le foisonnement des calices blancs.

     

    Image047.jpg

    Vendeuse d'arums, 1943.

     La Nature matricielle est omniprésente dans l'oeuvre de Rivera qui s'enracine dans les traditions magiques amérindiennes. L'arum était d'ailleurs utilisé pour « coiffer » les dieux aztèques et mayas.

     

    Image048.jpg

    Célèbre artiste polonaise de la période Art Déco, Tamara de Lempicka (1898-1980) considérait les arums comme l'émanation du pouvoir ambivalent de la féminité. Fascinée par leurs effets nacrés, veloutés et opalescents, elle peignit à maintes reprises ce qu'elle qualifiait de « subtiles circonvolutions ».

     

    Image049.jpg

     Dans cette Nature morte aux arums et au miroir, datée de 1935, elle fait resplendir l'étrangeté de la fleur, sa blancheur intime, ensorcelante, légèrement verdâtre et l'associe au thème du miroir, accessoire de beauté et de vanité.

     

    Image050.jpg

     Georgia O'Keeffe (1887-1986), artiste américaine d'origine irlandaise dont l'oeuvre atypique est un mélange de modernisme, de minimalisme et d'abstraction, peignit, tout au long de sa carrière, des fleurs et notamment des arums.

     

    Image051.jpg

    Arum et grande feuille émeraude sur fond rouge, 1928.

     L'oeuvre traduit la passion de l'artiste pour les motifs en très gros plan (fleurs, cailloux, fossiles, coquillages, rochers...) sublimés par des aplats de couleurs vives.

     

    La maison aux arums est conçue comme une fantasmagorie, un bijou mystérieux dans l'écrin de la ville. Elle nous permet de voyager à travers la symbolique d'une fleur bien plus sauvage que domestiquée et nous rappelle que la Nature enveloppe l'Architecture. Les matériaux dits « structurels » sont utilisés pour façonner des arbres de métal aux branches organiques, des fleurs de pierre et de verre, aiguiser l'imagination et faire croître un monde enchanté dans l'espace urbain.

     

    Image052.jpg

     Qu'il soit aimé ou décrié, l'Art Nouveau est un fabuleux creuset d'inspiration naturaliste. Il crée des correspondances subtiles entre les matériaux, entre l'utile et l'esthétique, le réel et l'onirique.

     

    Image053.jpg

     Pour ressembler aux éléments naturels, les ornements métalliques sont traités avec harmonie, gracilité et sens du mouvement. Ainsi, une forêt magique semble avoir poussé tout autour de l'habitation.

     

    Image054.jpg

     

    Image055.jpg

     

    Image056.jpg

     Dans le hall d'entrée, de fines mosaïques rappellent les broderies florales qui couvrent la façade. Elles font écho aux lianes de métal qui se contorsionnent le long de la pierre.

     

    Image057.jpg

     

    L'artiste « Art Nouveau » est un alchimiste qui crée et recrée à l'infini les formes dessinées par la Nature. Il joue à recomposer la lumière et dévoile ses variations à travers les matières qu'il travaille.

     Il élabore un art total qui se mêle à l'Artisanat et à l'Industrie. Il exploite de nouvelles gammes colorées et se rapproche des effets de matière qui règnent dans la Nature: prairies aquatiques, jardins détrempés, miroirs d'eau, reflets de tempêtes, cieux étranges...

     

    Image058.jpg

     Il intercale ce que l'on peut toucher et ce qui suscite les songes, comme dans l'élégante poésie de la maison aux arums...

     

    Image059.jpg

     

    Merci de votre fidélité, je vous souhaite une excellente fin de semaine. Amicalement vôtre !

    Plume

    Partager via Gmail Delicious Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks Pin It

    99 commentaires
  • Image01

    Une grille qui jaillit comme un bouquet printanier... Une écriture végétale aux fascinantes sinuosités... Je vous invite à découvrir, au numéro 33 de la rue du Champ de Mars, dans le 7e arrondissement de Paris, un bijou d'architecture Art Nouveau.

     

    Dans cette rue discrète, surgit une façade au décor luxuriant qui dessine une forêt de fleurs pétrifiées.

     

    Image02

    Construit en 1904 par l'architecte Octave Raquin pour un certain Monsieur Bouvet, le bâtiment accueillit un collège privé, le Cours des demoiselles Longuet.

     

    Image03

    Portrait d'Octave Raquin, peint par Toulouse-Lautrec en 1901.

     

    Image04

    Octave Raquin fut l'un des collaborateurs de la Revue Blanche, une revue littéraire et artistique fondée en 1890 à Liège par les frères Natanson. Cette revue s'installa en 1891 à Paris où elle rivalisa avec le Mercure de France, d'où le nom de Revue Blanche (la couverture du Mercure était mauve...)

     

    Image05

    Après les étudiantes des demoiselles Longuet, les élèves du Cours Alfred de Musset s' établirent dans l'immeuble de la rue du Champ de Mars qui abrite aujourd'hui une clinique de chirurgie esthétique et des appartements.

     

    La mise en scène est particulièrement réussie. La belle façade de pierre est aérée par de nombreuses ouvertures et rythmée par de gracieuses ferronneries.

     

    Image06

     

    Des travées en saillie, des linteaux stylisés, des courbes oniriques... Un épiderme de pierre sur lequel serpente la lumière... l'Art Nouveau s'exprime ici avec grâce, puissance et fluidité.

     

    Image07

    L'un des magnifiques bow-windows ou oriels en français, qui animent la façade.

     

    Ces avancées en encorbellement ou « fenêtres en arc » sont fréquentes dans l'architecture victorienne, le style Second Empire et l'Art Nouveau. Dans l'art anglais, trois termes désignent ces constructions et leurs variantes.

    • Le bow-window ou « fenêtre en arc ».
    • Le bay-window ou « baie vitrée avancée ».
    • L'oriel-window ou « fenêtre en rideau ».

     

     

    Image08

    Cette peau végétale établit une communication intime entre le regard et les courbes de l'architecture. La lumière naturelle est tissée comme une matière vivante et répartie, avec féerie et fonctionnalité, dans les différentes pièces de l'habitation.

     

    Image09

    L'élégante marquise en fer forgé et en verre, qui accueille le visiteur, est décorée de feuilles d'arums, de même que les grilles de la porte d'entrée et les vantaux des portes latérales.

     

    Image10

     

    Dans sa robe de verre tendue de fer ou d'acier, la marquise dévoile ses volutes ouvragées. Elle désignait originellement une pièce de toile tendue au-dessus d'une porte pour se protéger des intempéries et du soleil. Elle était fréquemment utilisée sur les bateaux. En architecture, cet auvent vitré représente un abri et un élément décoratif.

     

    Image11

    La marquise de la Villa Majorelle, construite à Nancy entre 1901 et 1902 par Henri Sauvage et Lucien Weissenburger.

     

    Image12

    La marquise du métro Abbesses, signée Hector Guimard.

     

    Image13

    Celle de la maison aux arums présente une bordure ondulée qui accroît la plasticité de l'ensemble.

     

    Image14

    Par ses ondes raffinées et son riche décor floral, cette porte latérale reflète les liens qui unissent la Nature et l'Art Nouveau.

     

    Image15

    Cela s'applique aussi à ce petit soupirail.

     

    Dans les dernières décennies du XIXe siècle, l'admiration pour la Nature imprégna les travaux de nombreux artistes. Ils redécouvrirent la flore gothique dessinée par l'architecte Viollet-le-Duc et s'émerveillèrent devant les estampes japonaises, diffusées par des marchands férus d'art asiatique.

     

    L'un d'eux, Siegfried Bing, ouvrit à Paris en 1895 un magasin qu'il baptisa « Maison de l'Art Nouveau ». Au numéro 19 de la rue Chauchat, dans le 9e arrondissement de Paris, ce lieu atypique devint un formidable espace de rencontre et de création artistiques.

     

    Image16

    L'affiche de l'exposition qui lui a été consacrée.

     

    Dans l'Art Nouveau, la Nature est une source d'inspiration permanente. Ciselée et magnifiée à travers les bijoux de René Lalique, les vases d'Émille Gallé et des frères Daum, les boiseries de Louis Majorelle...

     

    Image17

    Pavot de René Lalique, 1897. (La photo vient du site du Musée d'Orsay.)

     

    Image18

    Avec cet ornement de corsage, appelé « Oiseaux chanteurs » et réalisé en 1889 pour la maison Vever, René Lalique enchante l'or, l'argent, les diamants et les rubis.

     

    Image19

    La Nigelle, vase d'Émile Gallé, vers 1900. L'artiste, passionné de botanique, retranscrit, de manière onirique, les formes offertes par la Nature.

     

    Image20

    Le vase aux primevères, en marqueterie de verres, réalisé par Émile Gallé vers 1900. Ce vert profond, né d'une superposition de couches de verre saturé, rappelle les jardins gorgés d'eau et les effets de lumière au début du Printemps.

     

    Image21

    A travers une galerie de lampes féeriques et de vases mystérieux, les frères Daum déclinent leurs affinités pour les formes sinueuses, le rêve et la translucidité.

     

    Image22

     

    Image23

     

    Image24

    Un bureau « végétal », signé Louis Majorelle.

     

    En étudiant les merveilles de la Nature, les artistes « Art Nouveau » inventèrent un vocabulaire esthétique fondé sur la sinuosité des lignes, la luxuriance du décor, la recréation de l'élément végétal avec des matériaux métalliques et la prédominance de l'ornement floral. Parées de feuilles et de fleurs, les façades des immeubles et des maisons nous invitent à explorer un univers sylvestre et fantastique.

     

    Image25

     

    La maison aux arums s'inscrit dans cette veine « symboliste », nourrie par la poésie et la littérature.

     

    Image26

    L'arum possède une double nature. Cette fleur, dotée d'une étrange inflorescence, est à la fois féminine et phallique. Au fil des siècles, elle fut perçue comme un symbole de pureté ou un emblème diabolique.

     

    Dans les années 1900, elle était très prisée dans les bouquets de mariées. On l'appréciait aussi pendant les fiançailles et les communions. Dans le cas présent, il est vraisemblable qu'elle ait été associée aux jeunes filles du cours privé des demoiselles Longuet.

     

    Image27

    Il existe de nombreuses variétés d'arums. L'arum des fleuristes ou calla est une cousine de l'arum maculatum ou pied de veau.

     

    Cette fleur jouait un rôle important dans la pharmacopée ancienne mais il fallait redoubler de vigilance en raison de sa toxicité. L'eau distillée de racines tubéreuses était utilisée comme lotion de beauté. Les racines longuement bouillies, torréfiées, râpées et passées au tamis donnaient une sorte de fécule, consommée sous forme de pain dans l'Antiquité.

     

    La teinture de racines est encore prescrite en homéopathie. Elle est réputée décongestionner les voies respiratoires, calmer les saignements et les irritations de la peau.

     

    Image28

    Ce vase en majolique, en forme d'arum, fut créé vers 1900 par la manufacture autrichienne Gerbing et Stephan. Il évoque la nature complexe de la fleur et de la femme, sources d'inspiration majeures, créatures mystérieuses, troubles et sensuelles, hybrides et magiciennes...

     

    Image29

    La Nature enveloppe l'Architecture. Les matériaux dits « structurels » sont utilisés pour façonner des arbres de métal aux branches organiques, des fleurs de pierre et de verre, aiguiser l'imagination et faire croître un monde enchanté dans l'espace urbain.

     

    Image30

    Qu'il soit aimé ou décrié, l'Art Nouveau est un fabuleux creuset d'inspiration naturaliste. Il crée des correspondances subtiles entre les matériaux, entre l'utile et l'esthétique, entre le réel et l'onirique.

     

    Image31

    Pour ressembler aux éléments naturels, les ornements métalliques sont traités avec harmonie, gracilité et sens du mouvement. Une forêt magique semble avoir poussé autour de l'habitation.

     

    Image32

    Dans le hall d'entrée, de fines mosaïques rappellent les broderies florales qui couvrent la façade. Elles font écho aux lianes de métal qui se contorsionnent le long de la pierre.

     

    Image33

     

    L'artiste « Art Nouveau » est un alchimiste qui crée et recrée à l'infini les formes dessinées par la Nature. Il joue à recomposer la lumière et dévoile ses variations à travers les matières qu'il travaille.

    Il élabore un art total qui se mêle à l'Artisanat et à l'Industrie. Il exploite de nouvelles gammes colorées et se rapproche des effets de matière qui règnent dans la Nature: prairies aquatiques, jardins détrempés, miroirs d'eau, reflets de tempêtes, cieux étranges...

     

    Image34

     

    Il intercale ce qu'il peut toucher et ce qui suscite les songes, comme dans l'élégante poésie de la « maison aux arums »...

     

    Image35

     

    Plume4

    Partager via Gmail Delicious Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks Pin It

    97 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique