Je veux dédier cet article à Henri, un ami qui vient de nous quitter... Il allait fêter dans quelques mois ses 88 ans. Il aimait profondément la vie, le partage. Il écrivait de gracieux alexandrins et il était très cher à nos cœurs.
Je continuerai de penser à toi, Henri et je présente mes condoléances les plus vives à ta famille et à tes amis. Tu m'écrivais de si gentilles choses, tu étais là, prenant plaisir à « savourer » mes promenades parisiennes et tu seras toujours avec moi. Repose en paix là où les poèmes brillent de mille feux. Les tiens nous ont enchantés pendant de longues années d'amitié alors un grand merci et de beaux sourires malgré notre peine...
Pour Henri...
Retour à Yerres, dans le bel écrin de la Propriété Caillebotte, où de séduisants petits édifices appelés « fabriques » se dressent parmi la végétation.
Dans l'art des jardins, les fabriques désignent des constructions pittoresques évoquant l'architecture en vogue dans plusieurs pays. Pagodes, kiosques, pyramides, temples, tourelles, colonnes, ponts miniatures, chaumières... se sont multipliés, aux XVIIe et XVIIIe siècle, un peu partout en Europe, dans de nombreux parcs et jardins. Les fabriques furent créées en Angleterre vers les années 1750, « adoptées » dans la foulée en Allemagne et en Suède et très appréciées en France surtout à partir des années 1770. Elles symbolisent les étapes d'un voyage à travers les beautés du monde mais aussi les différents aspects d'un voyage intérieur.
Cheminer, de fabrique en fabrique, en contemplant les couleurs changeantes des saisons, était considéré comme un art de vivre, une manière à la fois spirituelle et philosophique de communier avec les beautés de la Nature. Nature célébrée pour son mystère et sa force d'expansion et recomposée, de manière poétique, dans un espace élégant.
Répandues dans la peinture de paysage, (nous pensons aux tableaux de peintres comme Claude Gellée dit Le Lorrain (1600-1682) ou Nicolas Poussin (1594-1665) ), les fabriques ont été « heureusement » conservées dans plusieurs lieux emblématiques de la capitale (Parc Monceau, Bagatelle...) et de la grande Île de France (Rambouillet, Désert de Retz, Méréville, Ermenonville...)
Joliment restaurées, celles de la Propriété Caillebotte se laissent admirer au rythme de la marche et par le charme qui en émane, elles font allusion à celles des jardins anglais où s'équilibrent constructions à taille humaine et « volumes plantés » à l'enveloppante beauté.
Le Kiosque oriental et la Glacière : deux fabriques qui n'en forment qu'une
Le Kiosque
Ce belvédère de conception romantique offrait jadis au visiteur la possibilité de considérer le paysage à partir d'un « nouveau » point de vue. Il est agrémenté d'un décor de style oriental : les panneaux sont encadrés de faux bambous et décorés de fleurs de lotus qui symbolisent la sagesse. Les vitraux sont ornés de griffons, en référence au Mont Griffon, point culminant d'Yerres (115 mètres) qui se situe dans l'axe visuel de l'édifice. On n'y accède plus mais ses portes se rouvriront peut-être...
La Glacière
Couverte d'une butte de terre surmontée du kiosque et profonde de sept mètres, elle fut construite, vers 1830, à l'initiative de Pierre-Frédéric Borrel, le concepteur du parc à l'anglaise avant l'implantation de la famille Caillebotte. On y entreposait la glace naturelle, entre des couches de paille, afin de conserver les aliments.
Sa porte d'accès est encadrée par un « enrochement de meulière » en forme de grotte.
Jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, on éloignait les glacières des bâtiments que l'on présentait comme « nobles ». On les dissimulait derrière des bosquets (château royal de Marly) ou des murs (Versailles, Grand Trianon...). Purement utilitaires, on les plaçait surtout près des cuisines mais cela évolua à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle.
La glacière devint l'un des éléments majeurs du jardin dit « pittoresque ». On la recouvrit d'une butte de terre afin d'y installer un kiosque destiné à servir de point de mire. C'est la composition que l'on trouve à Yerres.
La glacière fut considérée comme indispensable à l'esthétique des lieux. En 1750, l'architecte et décorateur de théâtre Jean-Nicolas Servandoni (1695-1766) construisit dans le parc du château de Gennevilliers, dans les Hauts de Seine, un ensemble remarquable qui hélas n'existe plus. Parmi les trésors de cette propriété construite à l'initiative du maréchal duc de Richelieu, petit neveu du célèbre Cardinal, un temple circulaire était consacré à la déesse Aurore.
Ce bâtiment belvédère, détruit au début du XXe siècle, était érigé au-dessus de la glacière. On y admirait des peintures de François Boucher (1703-1770) et notamment une représentation de l'Aurore et un Mercure doré.
Dans les allées du mystérieux Désert de Retz, vaste jardin anglo-chinois juché sur les hauteurs de la forêt de Marly, se dresse, parmi des fabriques aux noms évocateurs : le Temple du dieu Pan, la Colonne détruite, la Tente Tartare..., une glacière pyramide. Cette glacière fut conçue pour rendre hommage aux charmes de l'Égypte antique.
(Photo de Lionel Allorge)
Sa construction s'est élaborée sur trois niveaux. Elle se compose d'une cuve profonde de six mètres, d'un soubassement carré et de la partie pyramidale proprement dite. Avec sa porte d'accès orientée au nord et son élégante mise en scène, elle fut considérée comme une « métaphore de la perfection maçonnique ».
A Yerres comme ailleurs, la glace était récoltée pendant l'hiver dans ce qu'on appelait un « canal à glace » soit un étang ou une mare situé(e) à proximité de la propriété. Dans la cuve maçonnée de la glacière, en forme de cône inversé, on plaçait la précieuse eau solidifiée que le personnel dévolu à cette importante tâche venait récupérer à la nuit tombée. Au-dessus des blocs de glace, sur un plancher supérieur, calé par des pierres imposantes, reposaient fruits, légumes et pièces de viande.
Le commerce de la glace fut prospère dès l'Antiquité, la glace étant tout aussi indispensable pour rafraîchir aliments et boissons que pour soigner les fièvres et les inflammations. Dans les temples de la Grèce antique, on faisait fondre de la glace dans des petits bassins, dans un but divinatoire et dans la Rome ancienne, la glace était utilisée dans les thermes pour « nourrir » les frigidaria.
Dans les parcs des châteaux, les puits à glace étaient particulièrement surveillés et plus encore en période de forte chaleur tant le prix de la glace, déjà élevé, pouvait augmenter.
Pour la petite histoire, les premiers sorbets apparurent environ quatre siècles avant J.-C. en Italie. On mélangeait des fruits et du miel et on plaçait l'ensemble dans un récipient mis en contact avec de la glace. Cette gourmandise fut introduite à la cour de France par Catherine de Médicis (1519-1589) sous le règne de Henri II (1519-1559). Les glacières furent donc plus que jamais indispensables !
A Yerres, à quelques pas de l'ensemble constitué par le kiosque et la glacière, se dresse la Chaumière Normande.
Cette jolie construction était la réserve à outils de la propriété. On y entreposait entre autres les objets nécessaires à la récupération de la glace. Ses portes à croisillons de bois sont caractéristiques de l'architecture dite de montagne. Ses murs sont appareillés en pierres de meulière et son toit aux pentes fortement marquées était autrefois couvert de chaume.
Je vous donne rendez-vous bientôt, chers aminautes, afin de poursuivre cette promenade sous le beau soleil d'Île de France et d'apprécier la contemplation d'autres fabriques. En attendant, je vous souhaite un agréable week-end de Pentecôte, gros bisous !
Je n'imaginais pas aussi grand ! je suis impressionnée par ce parc !