Aux Tuileries, les saisons forment ronde autour des arbres, des sculptures et des parterres fleuris et deux fois dans l'année, la Grande Roue se déploie, à l'assaut des nuages et du ciel de Paris. On la découvre, scintillante, Place de la Concorde, pour les fêtes de fin d'année et l'été, elle se dresse face aux arcades de la rue de Rivoli. En cette période de vacances et jusqu'au dimanche 24 août 2014, elle domine, depuis l'un des plus beaux endroits de la capitale, une fête foraine qui fait le bonheur des petits et des grands.
On dit que le Jardin des Tuileries est rempli d'ombres vaporeuses qui chuchotent, tout au long de l'année, sous les grands marronniers. Elles ont des noms célèbres ou confidentiels, elles accompagnent en secret les promeneurs qui arpentent les allées du plus grand jardin à la française de Paris et ont insufflé, au cours des siècles, leur vision de l'art du paysage à cet espace protéiforme et prestigieux.
Il y eut Catherine de Médicis (1519-1589) qui décida de quitter l'hôtel des Tournelles, après la mort accidentelle de son époux Henri II, le 10 juillet 1559. Elle fit construire un palais, entre 1564 et 1578, par les architectes Philibert Delorme et Jean Bullant, là où s'étendaient, depuis le XIIIe siècle, les « vieilles tuileries », domaine des potiers, des céramistes et des tuiliers installés en bordure de Seine. Mais le jardin prit forme dès 1563, sous la houlette du florentin Bernard de Carnesse, et en 1570 on pouvait admirer un somptueux espace à l'italienne décoré de fontaines, d'un labyrinthe et de petits bâtiments pittoresques appelés « fabriques ». La plus célèbre de ces fabriques était une grotte ornée de motifs naturalistes en terre cuite émaillée, réalisée par Bernard Palissy. (Je reviendrai sur cette période de l'histoire du jardin, après la rentrée, dans une série d'articles consacrés au Louvre et aux Tuileries.)
Il y eut André le Nôtre (1613-1700), petit-fils de Pierre le Nôtre (architecte de Catherine de Médicis), que Louis XIV et Colbert ont chargé, à partir de 1664, de redessiner le jardin en créant une subtile alchimie entre le château, ses dépendances et les espaces verts. Naissent alors les perspectives des allées et de luxuriants parterres. Les terrasses se développent et les plantations de cyprès, de sapins et d'ifs se succèdent mais le jardin est dépourvu de statues, ce qui contraste fortement avec la vision que nous en avons aujourd'hui. (Je publierai, après la rentrée, mes travaux sur le sujet.)
La chronologie historique et artistique des Tuileries est d'une richesse infinie. Après l'empreinte de Catherine de Médicis et celles de Louis XIV et d'André le Nôtre, il y eut les modifications « mondaines » du XVIIIe siècle et l'avènement du jardin théâtralisé qui accueillit, à l'initiative des Bâtiments du Roi, des groupes sculptés provenant de Versailles et de Marly. Les premières installations eurent lieu entre 1716 et 1717. Elles se poursuivirent pendant des décennies. Puis survinrent les affres de la Révolution et la fin de l'Ancien Régime mais les aménagements républicains comprirent le transfert de nouvelles statues issues des principaux domaines royaux (Fontainebleau, Versailles, Marly...).
Le jardin ne cessa de pulser au rythme frénétique de l'Histoire et des confidences murmurées sous les grands arbres ou dans les loges de verdure. Il servit ensuite les desseins fastueux de Napoléon Bonaparte (1769-1821) qui s'installa aux Tuileries le 19 février 1800.
Sous la Restauration (1814-1830), il devint la promenade préférée des Parisiens qui venaient y contempler des entrées somptuaires et des défilés militaires. Il subit au fil du temps de nombreuses déprédations mais heureusement, aimé de la population, il fut maintes fois réaménagé.
Tableau du peintre néerlandais Siebe Johannes Ten Cate (1858-1908).
Après la destruction du palais, pendant la Commune, dans la soirée du 23 mai 1871, le jardin fut dominé, pendant une douzaine d'années, par les vestiges calcinés des façades mais sa situation exceptionnelle au cœur de Paris et l'engouement populaire qu'il suscitait favorisèrent sa remise en état. Il s'impose aujourd'hui comme un lieu privilégié de villégiature et un musée à ciel ouvert qui exalte la sculpture classique tout en offrant une place de choix à l'art contemporain.
(Vue sur les orangers, le Grand Bassin et le haut des arcades de la rue de Rivoli.)
De tout cela, je vous reparlerai abondamment après les vacances. Pour le moment, je vous laisse admirer les statues des saisons qui se dressent, un brin rêveuses, à l'orée de la grande allée.
Les Termes des Saisons
En 1722, la partie occidentale du grand bassin fut décorée de trois termes de marbre représentant les Saisons. Il s'agissait de Pomone, appelée aussi Flore ou le Printemps et réalisée en 1696 par François Barois, de Vertumne ou l’Automne, également sculpté par François Barois, et de l’Hiver, œuvre de Jean Raon datant de 1712. Le quatrième terme, intitulé Cérès ou l’Été, fut ciselé par Guillaume Coustou en 1726 et installé en 1735.
Un « terme » est un buste de femme ou d'homme, dont la partie inférieure se termine en gaine, et qui sert d'ornement dans les jardins.
Les blanches silhouettes visibles au fond de l'image sont celles des termes qui voisinent avec des statues de héros et d'héroïnes de l'Antiquité.
Le Printemps
On dit que Pomone, la déesse des fruits, est pure grâce et pensées embaumées.
Sa beauté attira Vertumne, le dieu de l'Automne, qui multiplia les efforts et les ruses pour la séduire (tempérament de déesse oblige...). Je m'arrête là dans mes explications. Je réserve au thème des amours de Pomone et Vertumne, très important dans l'histoire de l'art, un article à part.
A l'instar de Flore, avec qui elle est parfois confondue, Pomone veille sur les bourgeons gorgés de sucre et de lumière.
L'Été
Cérès, la déesse latine de l'agriculture et des moissons, est couronnée de blé mûr. Assimilée à la déesse grecque Déméter, elle apprit aux hommes à cultiver les céréales et fut très longtemps invoquée pour protéger les récoltes, faire croître la végétation et attirer la fécondité sur les foyers. Sa fleur symbolique est le pavot.
L'Automne
Il n'est pas représenté ici par Dionysos ou Bacchus, le dieu de la vigne et de l'ivresse initiatique mais par Vertumne, le dieu des vergers, maître des métamorphoses et profondément épris de la belle Pomone. (Comme je l'ai écrit plus haut, je consacrerai un article à leurs truculentes et romantiques amours.)
L'Hiver
Ce terme, probablement commandé pour le parc de Versailles, fut commencé par le sculpteur Jean Raon et achevé en 1712 par son fils Jean-Melchior. Il fut placé à proximité du bassin occidental du jardin des Tuileries en 1722. Le marbre original fut remplacé par un moulage en 1993. Il est actuellement visible au musée du Louvre.
L'hiver, c'est le vieux Saturne, barbu et imperturbable...
Maître du temps, de ses mystères et de ses exigences, Saturne se nourrit de soleil, nous rappelant qu'aux Tuileries, lieu pourtant chargé de tant d'histoires et d'évènements dramatiques, nous sommes loin du temps chronophage car la flamme de l'instant savouré réchauffe, à toute saison, les cœurs et les âmes.
Chaque saison est indissociable de celle qui la suit et de celle qui la précède. Nous prenons place dans cette ronde, guidés par nos expériences et notre ressenti, comme le murmurent ces statues érodées par les âges mais résistant à l'oubli, témoins de nos émotions de passage et réceptacles de nos pensées vagabondes...
Le Jardin des Tuileries se livre à notre contemplation tout au long de l'année et la magie du lieu nous invite à constamment le redécouvrir.
Je termine cette promenade avec les mots de Boileau (1636-1711) qui exaltent la connaissance du temps, de sa nature secrète, de son âpreté et de ses voluptés qui toujours se renouvellent.
« Jeune et tendre arbrisseau, l'espoir de mon verger,
Fertile nourrisson de Vertumne et de Flore
Des faveurs de l'hiver redoutez le danger,
Et retenez les fleurs qui se pressent d'éclore
Séduites par l'éclat d'un beau jour passager.
Imitez la sage anémone
Craignez Borée et ses retours
Attendez que Flore et Pomone
Vous puissent prêter leur secours
Philomène est toujours muette (Philomène est la figure du rossignol personnifié.)
Progné craint de nouveaux frissons (Progné est l'hirondelle.)
Et la timide violette
Se cache encore sous les gazons.
Imitez la sage anémone
Craignez Borée et ses retours
Attendez que Flore et Pomone
Vous puissent prêter leur secours
Soleil, père de la nature
Viens répandre en ces lieux tes fécondes chaleurs
Dissipe les frimas, écarte les froidures
Qui brûle nos fruits et nos fleurs
Cérès plein d'impatience
N'attend que ton retour pour enrichir nos bords
Et sur ta fertile présence
Bacchus fonde l'espoir de ses nouveaux trésors.
Les lieux d'où tu prend ta course,
virent ses premiers combats
Mais loin des climats de l'ourse
Il porta toujours ses pas.
Quand ses amours favorables
voulurent le rendre heureux,
Ce fut sur des bords aimables
Qu'échauffaient tes plus doux feux
Les lieux d'où tu prend ta course,
virent ses premiers combats
Mais loin des climats de l'ourse
Il porta toujours ses pas. »
Nicolas Boileau, « Sur un arbrisseau »
Merci pour vos gentils petits mots, bonnes vacances et gros bisous !
C'est toujours avec un grand plaisir que je viens me balader sur ton beau blog si richement documenté ma chère Cendrine gros bisous