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Géographie intime du Parc Monceau
Comme je l'ai écrit dans un précédent article, le Parc Monceau est né, au 18e siècle, sur les terres de Louis-Philippe d'Orléans (1747-1793), le Duc de Chartres. Après avoir fait aménager un premier jardin à la française, il confia la réalisation d'un jardin de style « anglo-chinois » à l'architecte paysagiste Louis Carrogis de Carmontelle (1717-1806).
Carmontelle mit en scène un « pays d'illusions » peuplé de fabriques, des monuments qui traduisaient la vogue de l'époque pour l'histoire et l'archéologie. De 1773 à 1778, il fut le concepteur d'un jardin-théâtre imprégné d'exotisme et annonciateur des valeurs esthétiques du romantisme. Il le peupla de ruines féodales, de moulins et de tombeaux. Il y édifia une pagode, une pyramide, un obélisque, un temple romain, une naumachie, un minaret, des tentes tartares, des tours et des îles miniatures.
Reflets aquatiques
Mur feuillu
A propos de Carmontelle
Dessinateur, peintre, graveur, auteur dramatique, paysagiste, topographe pendant la Guerre de Sept Ans (1756-1763)... Carmontelle possédait bien des talents. Il orchestra également des fêtes somptueuses.
Des petites comédies appelées Proverbes le rendirent célèbre. Elles se composaient d'une trame sur laquelle les personnages de la Cour étaient invités à broder des histoires. Il croquait aussi ses contemporains à travers des portraits au crayon, « lavés d'aquarelle et parfois rehaussés de gouache ou de pastel ». Mais il fut surtout connu pour ses Transparents. Cette technique consistait à tendre un rouleau de toiles peintes entre deux bobines et à l'éclairer par un système ingénieux. Des paysages défilaient, fantasmagories élégantes et ludiques où les personnages des Proverbes étaient mis en scène.
Au sujet du Parc Monceau, Carmontelle écrivit avoir voulu « réunir dans un seul jardin tous les temps et tous les lieux. »
La Naumachie
Dans la Rome antique, elle désignait un bassin de grande taille dans lequel se déroulait un combat naval. Elle pouvait être grandiose, à l'image de celle que Jules César fit réaliser à Rome, en 46 avant J.-C. Plusieurs milliers d'hommes s'affrontèrent dans un décor luxuriant avec de véritables bateaux. A l'intérieur d'un bassin géant, cette reconstitution se voulait un témoignage vivant de la puissance et de la grandeur de Rome mais ce divertissement très spectaculaire fut aussi particulièrement sanglant.
Bordé de colonnes corinthiennes, le bassin ovale du Parc Monceau évoque un passé lointain dont la mise en scène se fondait sur une recherche d'exactitude associée à un goût pour l'anecdotique et l'intemporalité. Les vestiges recomposés traduisaient l'engouement de l'époque pour la quête historique tout en créant une atmosphère propice à la rêverie.
La colonnade provient de l'édifice Notre-Dame de la Rotonde à Saint-Denis. Démoli en 1719, ce monument circulaire devait être le mausolée des Valois.
La porte sur l'eau...
La Poésie et l'Esthétique des Ruines
Avec la découverte des cités d'Herculanum, en 1709, et de Pompéi, en 1748, les ruines, témoignages de la grandeur ensevelie des empires, ont exercé au 18e et au 19e siècle une fascination puissante sur de nombreux artistes. A la fois éléments de décor et supports de méditation, les ruines étaient l'expression d'une antiquité sublimée, d'un âge d'or pittoresque.
Au 18e siècle, les « folies » architecturales étaient à la mode en France. Outre la « folie » de Carmontelle, celle de Bagatelle et le jardin anglo-chinois appelé « Désert de Retz » connurent une grande célébrité.
En Angleterre, les aristocrates firent construire des ruines, antiques et médiévales, dans les parcs de leurs châteaux et les jardins de leurs riches demeures.
Les archéologues britanniques Nicholas Revett (1720-1804) et James Stuart (1713-1788) ont beaucoup œuvré pour la connaissance des monuments de l'Italie et de la Grèce antiques. Nicholas Revett fut à l'origine du style Greek Revival qui cherchait à recréer l'harmonie et les proportions majestueuses des temples grecs de l'Antiquité.
La recherche archéologique passionna les intellectuels dans un contexte de multiplication des sociétés littéraires et scientifiques, des clubs et des académies. La Société des Dilettanti, une société savante anglaise créée aux alentours de 1733, assura les frais de voyage de Revett et de Stuart dont les ouvrages, richement documentés, favorisèrent l'étude et la compréhension des monuments du passé.
La littérature du 19e siècle s'empara du thème des ruines et leur associa une réflexion sur le temps qui s'écoule, la déliquescence des empires, le mystère et la mort.
Quand les contours de l'architecture se fondent dans les formes et les variations colorées de la Nature, les œuvres humaines retournent en quelque sorte à un état « prénatal » mais leur délitement est majestueux. Il émane de la force et de la grandeur de leurs silhouettes rongées. La pierre traverse les âges, se nourrissant des variations de la lumière, des chatoiements de l'eau, des teintes contrastées du ciel...
Entre 1781 et 1793, c'est le paysagiste écossais Thomas Blaikie (1750-1838) qui dessine de nouvelles allées et effectue des aménagements, parallèlement à ceux de Bagatelle. Il crée une galerie, une grotte mystérieuse peuplée de sombres rochers, des fontaines et fait planter de nombreux arbres. Il fait venir d'Angleterre des plantes qu'il installe dans les serres majestueuses, préalablement agrandies.
La Pyramide
Symbole d'éternité, associée aux puissances de mort et de vie, la pyramide se situe au carrefour des mondes humain et divin. Symbole de création et d'ouverture sur les anciens mystères, elle est un territoire initiatique.
Le Tombeau
Eros et Thanatos
Les colonnes jumelles
La Porte Saint-Jean, ouverte sur le paysage
Cette belle arcade Renaissance est un vestige de l'ancien Hôtel de Ville de Paris qui fut incendié, le 24 mai 1871, pendant la Commune.
Les statues du Parc Monceau
A différents endroits du parc, se lovent des statues et des groupes sculptés d'écrivains, de poètes et de musiciens qui contribuent à créer une ambiance de rêverie romantique. Elle font référence à l'attrait exercé par ce lieu sur les artistes à la fin du 19e siècle.
Le monument à Guy de Maupassant
Ce beau marbre, réalisé par le sculpteur Raoul Verlet en 1897, montre, au pied du buste de Maupassant, une jeune femme songeuse après la lecture d'un roman.
Le monument à Edouard Pailleron
Définir Edouard Pailleron (1834-1899) en quelques mots est difficile tant cet esprit brillant a accompli de choses. Auteur dramatique, poète, avocat, journaliste, dragon pendant deux ans, directeur de la Comédie-Française, gendre du fondateur de « La revue des Deux-Mondes » dont il devint le codirecteur, membre de l'Académie Française à partir de 1882... il déploya une puissante énergie créatrice à travers ses pièces dont certaines, comme Le monde où l'on s'ennuiefurent jouées plus de mille fois. Il est inhumé au cimetière du Père Lachaise.
Edouard Pailleron, rêveur...
Sa statue en buste au Parc Monceau et le monument qui l'accompagne datent de 1906 et sont l'œuvre du sculpteur Leopold Bernard Bernstamm.
Masques
Rose de pierre
Le jeune faune de Félix Charpentier (1858-1924).
En 1886, cette œuvre gracile fut inspirée par la sculpture antique.
Les grilles majestueuses
Elles sont l'œuvre de Gabriel Davioud (1823-1881), un représentant du style éclectique, « en vogue sous Napoléon III ».
Les beaux arbres du parc
Silhouettes sylvestres
Vieux platane endormi
(Vous pouvez consulter dans ce blog mon article à propos de cet arbre remarquable.)
Platane féerique
Non, ce n'est pas un rocher! Mais la partie inférieure d'un platane conséquent qui plonge avec délices ses racines dans l'eau.
Petite île romantique
« L'arbre est une flamme qui fleurit. » (Novalis)
Curiosités du parc
Le long d'une allée, une plaque enfoncée dans la végétation a attiré mon attention.
Elle rend hommage à André-Jacques Garnerin (1769-1823), l'inventeur du parachute. Le 22 octobre 1797, il s'élança d'un ballon et accomplit, au-dessus du parc, devant une foule médusée, le premier saut en parachute de l'histoire. Sa fiancée, Jeanne Labrosse, fut la première femme à effectuer un saut en parachute, le 12 octobre 1799.
Au bout de l'allée Garnerin, on croise l'allée de la Comtesse de Ségur avant d'apercevoir un majestueux bâtiment, situé au numéro 7 de l'avenue Vélasquez. Il s'agit du Musée Cernuschi, consacré aux Arts d'Asie et d'Extrême-Orient.
Cet hôtel particulier appartenait à Henri Cernuschi (1821-1896) qui légua ses collections d'art oriental à la Ville de Paris en 1896. Le musée fut inauguré en 1898 et rénové entre 2001 et 2005.
Sur la façade du musée, on aperçoit deux médaillons en mosaïque représentant Léonard de Vinci et Aristote.
Je terminerai cette promenade à travers la Nature et l'Histoire en citant les vers de l'abbé Jacques Dellile.
« J'en atteste, Ô Monceau, tes jardins toujours verts,
Là, des arbres absents, les tiges imitées,
Les magiques berceaux, les grottes enchantées,
Tout vous charme à la fois. Là bravant les saisons,
La rose apprend à naître au milieu des glaçons;
Et les temps, les climats, vaincus par des prodiges,
Semblent, de la féerie, épuiser les prestiges. »
Les jardins ou l'art d'embellir les paysages. (1782)
Bibliographie
Adolphe ALPHAND: Les promenades de Paris. 1867-1873.
Edouard ANDRÉ: L'art des jardins.1879.
Abbé Jacques DELLILE: Les jardins ou l'art d'embellir les paysages.Paris, 1782.
Jules LACROIX DE MARLÈS: Paris ancien et moderne ou Histoire de France divisée en douze périodes appliquées aux douze arrondissements de Paris, et justifiée par les monuments de cette ville célèbre.Paris: Parent-Desbarres. 1837-1839. 3 volumes.
Marquis Félix DE ROCHEGUDE: Promenades dans toutes les rues de Paris par arrondissements. Paris: Hachette, 1910.
Catalogue d'exposition: De Bagatelle à Monceau, 1778-1978, les folies du XVIIIe siècle à Paris. Paris. Domaine de Bagatelle, Musée Carnavalet, 1978-1979.
encement sur http://www.etoile-blog.com
Tags : parc, paris, jardin, monceau, monument
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Commentaires
150maplumefeeLundi 24 Septembre 2018 à 04:39RépondreEntrée à la Comédie-Française en 1875 ; sociétaire en 1879.
Issue d'une famille d'artistes et nièce d'Augustine et Madeleine Brohan, elle montre très tôt des dispositions pour la comédie. Elle est l'élève de Bressant au Conservatoire, dont elle sort en 1875 avec un brillant premier prix. Elle débute dans le rôle de Dorine (Tartuffe) et triomphe malgré ses dix-sept ans. Elle s'affirme comme « la soubrette idéale de Molière » et prête sa gaieté franche, sa diction mordante, son rire communicatif à Marinette, Toinette, Zerbinette, Lisette, Lucette, Charlotte et Nicole. Elle joue aussi Regnard et Marivaux, avec la même pétulance et la même joie de vivre.
Sociétaire en 1879, elle crée en 1880 Arabelle dans Daniel Rochat de Victorien Sardou et, en 1881, remporte un très grand succès personnel dans Suzanne du Monde où l'on s'ennuie d'Édouard Pailleron dont elle a déjà créé Petite Pluie et L'Étincelle et dont elle créera encore La Souris. En 1882, elle est Maguelonne dans la deuxième représentation du Roi s'amuse de Victor Hugo. Elle crée Chamillac (Octave Mirbeau), Monsieur Scapin (Jean Richepin) et s'apprête à jouer La Parisienne d'Henry Becque lorsqu'une fièvre typhoïde l'emporte brutalement à 33 ans.
Auguste Renoir a immortalisé dans plusieurs portraits le sourire heureux et les blonds cheveux ébouriffés de Jeanne Samary.
Leaping to the moon by Chukairi.deviantart.com on @deviantART Write a story about a girl who sees these little bunnies hopping their way to paradise.
27tataneparisienneDimanche 3 Mars 2013 à 03:17Moi qui aime tant marcher , j'ai bien envie de parcourir les allées mystérieuses de ce parc ! Vos photos sont comme vos textes: superbes .
26peyraudDimanche 3 Mars 2013 à 03:17Bastien a adoré la pyramide et le vieux platane sur lequel il cherchait les yeux,le nez,la bouche.....
Ce site est un bonheur pour tous les âges;il ya plusieurs niveaux de lecture selon que l'on veuille apprendre des choses ou admirer de beaux endroits ou des beautés naturelles.
Tu as l'art de débusquer ce que l'on ne voit pas toujours!Et pour" raconter" un endroit,une personne...
Quel travail tu as dû avoir pour tes recherches!
Une maman et son petit caribou!
25parisienDimanche 3 Mars 2013 à 03:1724reveurDimanche 3 Mars 2013 à 03:1723SomnanbuleDimanche 3 Mars 2013 à 03:17Bonjour MaplumefeedansParis, j'aime beaucoup votre style et vos articles. Je passe un excellent moment à chque fois qui me sort de ma grisaille quotidienne et me donne un autre regard sur les choses. Vous avez un talent pour donner au moindre fait un aspect féérique. Merci de vos mots comme de vos photos.
22fauneDimanche 3 Mars 2013 à 03:1721Chat RouilléDimanche 3 Mars 2013 à 03:1720Walker in ParisDimanche 3 Mars 2013 à 03:1719zazaDimanche 3 Mars 2013 à 03:1718zozoDimanche 3 Mars 2013 à 03:1717Paul SeuratDimanche 3 Mars 2013 à 03:1716EmileDimanche 3 Mars 2013 à 03:17Je découvre un autre article très bien écrit qui m'apprend énormément de choses sans être jamais rébarbatif. Je suis vraiment ravi.
15LiliroseDimanche 3 Mars 2013 à 03:17Bravo pour ce magnifique reportage, j'aime beaucoup parcourir ton blog. Les informations sont très précises, riches et il y a beaucoup de poésie dans ta façon d'écrire. Bises
14MélineDimanche 3 Mars 2013 à 03:1713ZazaDimanche 3 Mars 2013 à 03:17Fascinant ce genre d'endroit. C'est à la fois un parc vert et une décharge de l'histoire de Paris avec toutes ces ruines.
12Promeneur75Dimanche 3 Mars 2013 à 03:17Je suis fascinée par les grilles du Parc Monceau, heureusement que certaines personnes perpétuent ces beaux métiers.
Merci pour tes compliments, je t'envoie de gros bisous.
Excellent week-end!
Cendrine
Magnifique ce reportage Cendrine. J'ai appris que le premier vol en parachute avait eu lieu au dessus du parc Monceau. De bien belles statues. Les grilles sont fort belles aussi, j'admire le travail des ferronniers d'art. Il y en a encore un à Cergy. Bisous
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