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    Après avoir exploré l'histoire du négoce du vin à Bercy et contemplé les délicates facettes du Jardin Romantique, nous allons découvrir une autre « atmosphère » de ce parc atypique qui réunit trois espaces subtilement contrastés.

     

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     L'eau, la lumière et la végétation composent un fascinant écrin de soie verte.

     

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    Soie du paysage qui enveloppe ce petit hôtel à insectes. Ces « entomo-logis » sont de plus en plus nombreux dans les squares et les jardins de Paris.

     

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    Nous quittons le Jardin Romantique pour emprunter l'une des passerelles qui chevauche la rue Joseph Kessel.

     

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    Créée à l'occasion de l'aménagement de la partie est de la ZAC de Bercy, la rue fut appelée BW/12 avant de recevoir, par un arrêté municipal du 30 novembre 1992, le nom de Joseph Kessel (1898-1979), aventurier, résistant, journaliste, aviateur, écrivain et membre de l'Académie Française à partir de 1962.

     

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    Joseph Kessel et son chat Mustapha, en 1974.

     

    Avec son neveu Maurice Druon, (le créateur de la saga des Rois Maudits), il écrivit le sublime Chant des Partisans qui fut l'hymne de la Résistance, sur une musique d'Anna Marly L'oeuvre de cet infatigable baroudeur est impressionnante. Elle se compose d'environ quatre-vingts romans et d'une profusion d'articles et de récits de voyage inspirés par soixante années de reportages sur tous les continents. Kessel fut le témoin privilégié de procès comme ceux du Maréchal Pétain, de Nuremberg ou du criminel nazi Adolf Eichmann.

    L'inoubliable auteur du Lion (1953) et de l'Armée des Ombres (1944) est enterré au cimetière du Montparnasse (28e division).

     

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    La passerelle nous guide vers un labyrinthe de poésie végétale qui s'articule autour de neuf espaces ou carrés de culture appelés « Parterres de Bercy ». Bernard Huet, l'architecte paysagiste initiateur du projet, a souhaité retrouver « l'esprit du lieu », celui qui animait l'espace à l'époque dorée du négoce du vin. Il a aussi cherché à restituer le lien qui unissait autrefois l'eau et la terre et rendu hommage aux jardins à la française du château de Bercy, conçus par André Le Nôtre. (J'ai présenté ces broderies majestueuses dans un précédent article).

     

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    De grands arbres veillent sur notre promenade: platanes centenaires, hêtres, marronniers... Leur puissante verticalité domine les chaussées pavées qui se déployaient autrefois jusqu'au fleuve.

     

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    Plénitude estivale

     

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    Prémices d'automne

     

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     Avant de poursuivre notre chemin, nous profitons de l'ombre bienfaisante que nous offre cette pergola.

     

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     Héritée de l'Antiquité, cette structure élégamment parée de verdure abrite les rêveries et les conversations des visiteurs.

     

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     En cette belle journée d'été, mon imagination s'est lovée dans une jungle de volutes verdoyantes, irriguée par un agréable microclimat.

     

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    Le lieu est l'expression d'une idée maîtresse de Bernard Huet qui consistait à « produire du bien-être et à rendre l'espace, au-delà de tout intérêt spéculatif, à l'usage des promeneurs et des habitants. »

     

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    Au bord du petit canal qui longe la pergola, les arbres étaient investis par une myriade de cocons scintillants. La lumière tissait un spectacle envoûtant à travers ces habitacles soyeux.

     

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    Des oeuvres oniriques mais très urticantes...

     

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    Le spectacle n'attirait pas les promeneurs, à l'exception d'un monsieur intrigué par ces larves de chenilles et qui se demandait tout haut s'il s'agissait bien de chenilles processionnaires. Ces dernières apprécient plutôt de s'installer dans les pins dont elles dévorent les aiguilles...

     

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    Pendant que je contemplais ces trames mystérieuses, un jeune homme est passé près de moi. Une tristesse immense noyait son regard. Il est allé s'assoir sous la pergola (« assoir » est la nouvelle orthographe de « asseoir », petit clin d'oeil aux puristes qui pourraient me dire que j'ai oublié le « e » ).

     

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     Son chagrin tissait un mur invisible autour de lui. Je lui ai souhaité de « connaître soie sur soie » ou, d'après le Littré, « de vivre des choses agréables arrivant l'une sur l'autre ». J'ose espérer qu'à ce jour il va mieux.

     

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     En revoyant mes photos, j'ai songé à cette citation du peintre, écrivain et dramaturge suédois Johan August Strindberg (1849-1912): « Au fond, c'est ça la solitude: s'envelopper dans le cocon de son âme, se faire chrysalide et attendre la métamorphose, car elle arrive toujours. » Seul (1903).

     

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    Au-delà de la pergola, le jardin s'offre à travers une succession d'espaces qui évoquent la luxuriance et se parent de couleurs tantôt froides tantôt chaudes. Dédiés aux éléments, les allées, les parterres et les monuments célèbrent les puissances de la terre et les « forces météoriques »: l'eau, le feu et le vent.

     

    Le Printemps, l'Eau, le Vert

     

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    L'esprit du printemps rayonne dans le jardin des bulbes et tout autour de « la pyramide sous le lierre », maisonnette conique ou tumulus rappelant les habitations féeriques du Petit Peuple.

     

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    « Là où pousse le vert, cela signifie tout simplement la nature, la croissance positive... le sentiment du printemps. » Michel Pastoureau.

     

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    Le haut de ma photo est un peu noyé dans la lumière mais nous apercevons l'entrée de cette « fabrique » qui évoque les folies végétales du XVIIIe siècle.

     

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    Dans une atmosphère humide et semi-ombreuse, elle abrite une fougère arborescente, véritable « dinosaure végétal ».

     

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     Autour de la « pyramide sous le lierre », se déploient de fiers palmiers, des fleurs des champs et des totems, dressés par les jardiniers du parc, en hommage aux six continents.

     

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    Une jolie girouette et un petit moulin à vent complètent l'ensemble.

     

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    Ces palmiers luxuriants dominent les rues pavées, traversées par des rails sur lesquels circulaient autrefois les wagons chargés de précieux tonneaux de vin de Bourgogne et de Bordeaux.

     

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    L'Été, la Terre, le Noir

     

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    Associée à un petit labyrinthe de buis et à un jardin des senteurs, la roseraie est un des lieux les plus intimes et les plus élégants du parc. Couleur alchimique de la terre, le noir évoque ici les profondeurs fertiles du sol d'où émerge la vie, en ses velours d'été.

     

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     La rose, symbole de l'hédonisme, héroïne des cantiques mystérieux.

     

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     Délicat et puissant hommage des poètes à la beauté, à la jeunesse ravie aux griffes de la mort...

     

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     Suzeraine des vergers du Paradis.

     

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     Corbeille de félicité, écrin pour les métamorphoses de la lumière.

     

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     Rose d'aurore ou rose d'automne qui accueille en ses pétales la mémoire et les pensées de ceux qui furent...

     

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     Étoile ou calice des Innocents...

     

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     Née du sang d'Adonis (le seigneur de la végétation) ou fille de Cypris (Vénus) et des caresses de l'Amour.

     

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     Rose de Saadi ou d'Ispahan dont le baiser de feu emporte toute raison...

     

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     Muse des plaisirs des sens et de l'éveil spirituel.

     

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    Les amoureux, les rêveurs, les poètes, les initiés... goûtent ses parfums suaves et ses textures soyeuses ou veloutées.

     

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    Au centre du parc, à côté de la roseraie, se dresse la Maison du Jardinage.

     

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    Cet ancien bureau de perception des taxes est devenu un lieu incontournable pour les jardiniers de Paris. On y trouve une bibliothèque spécialisée dans l'art de jardiner, des herbiers, une serre et de précieux conseils.

     

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    Les jardiniers du parc y organisent des ateliers pour que les visiteurs mettent en pratique ce qu'ils ont appris à la Maison du Lac, dans le Jardin Romantique.

     

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    L'Automne, le Feu, le Rouge

     

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    La partie du parc consacrée à l'automne s'organise autour de cette haute cheminée de briques rouges que je vous ai déjà présentée.

     

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    Ces belles grappes évoquent le commerce du vin à Bercy et les nombreux métiers qui s'y trouvaient associés, comme en témoigne l'ancien chai conservé en bordure du potager pédagogique.

     

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    Le verger, bordé par l'orangerie, nous offre ses joyaux sucrés.

     

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    Ces « fruits d'or » rappellent la vogue des orangeries dans l'Italie de la Renaissance et la France des XVIIe et XVIIIe siècles. Si vous désirez approfondir le sujet, vous pouvez consulter mon article intitulé Les trésors de l'Orangerie Chapitre Un.

     

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    L'Hiver, l'Air, le Blanc

     

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    L'hiver est représenté par une construction appelée « Pavillon du Vent ». De hauts piliers de béton, destinés à entrer en résonance avec les humeurs de l'air, encadrent des instruments de mesure servant à étudier la vitesse de certains courants aériens.

     

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     Cette installation moderne est aussi un hommage aux très anciens cercles de pierre où nos Ancêtres célébraient les esprits et les dieux.

     

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    Le Parc de Bercy n'a pas fini de nous enchanter. On a beau s'y être promené de nombreuses fois, il continue de nous dévoiler ses visages plus secrets. Témoin vivant et évolutif d'une rencontre entre la création contemporaine et les constructions du passé, il rend hommage au travail des jardiniers qui, sans relâche, font vivre l'espace au rythme des saisons, conscients qu'une profonde sagesse naît de l'observation subtile des cycles de la Nature...

     

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    Je vous donne rendez-vous dans quelques jours afin de poursuivre notre « aventure » dans les méandres verts de Bercy.

     

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    Gros bisous!

    Plume

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    149 commentaires
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    Butine, ensorcelée, la couleur de l'instant

    Fouille l'or et la soie, la rosée et l'encens

    Corsetée de mystère au velours d'un regard

    Souffle dans la lumière ton feu de nectar...

     

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    Je vous ai présenté, il y a quelques semaines, l'histoire des vignes et du château de Bercy. Je suis ravie de vous retrouver dans le parc qui en perpétue le souvenir, à quelques encablures de la Seine, dans le 12e arrondissement de Paris. Au tout début du mois de septembre, alors que les raisins se délectaient à mûrir dans la lumière dorée, le jardin s'est paré de tons et de reflets merveilleux.

     

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    Entre 1993 et 1997, les architectes Bernard Huet, Madeleine Ferrand, Jean-Pierre Feugas et Bernard Leroy, assistés des paysagistes Philippe Raguin et Ian Le Caisne, ont réalisé, entre les pavillons de Cour Saint-Émilion et le Palais Omnisports de Paris Bercy, un ensemble de trois jardins spécifiques.

     

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    Notre flânerie commence dans le « Jardin Romantique » dont la végétation évoque les parcs à l'anglaise, à proximité des anciens chais qui témoignent de l'âge d'or du négoce du vin.

     

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    Nous voici devant la Maison du Lac, ancien poste de garde des entrepôts, qui se contemple dans un miroir dormant. Les gardiens veillaient à ce que les habitants de Bercy ne récupèrent pas, à la nuit tombée, plus de vin qu'ils n'étaient autorisés à collecter chaque jour soit dix litres par personne!!!

     

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    Sur cette photo datée de 1900, vous apercevez la grille d'entrée des entrepôts et la maison des gardiens dans le fond.

     

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    Elle accueille aujourd'hui des expositions consacrées à l'art des jardins. L'eau et les arbres (cèdres du Liban, pins de Corse, arbres aux quarante écus, bouleaux, saules, chênes, liquidambars) composent tout autour une romantique scénographie.

     

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    « L'Oeil... Tout l'Univers est en lui, puisqu'il voit, puisqu'il reflète. » Guy de Maupassant (1850-1893), Le Horla (1886-1887).

     

    Dans les spires de l'eau, fusionnent l'ombre et l'instant soyeux, les lignes vives et les ondulations mystérieuses. Aimantée par les sortilèges aquatiques et les mues chatoyantes du paysage, je songe à la riche histoire des lieux...

     

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    On a retrouvé, à proximité de cette jolie bâtisse, des vestiges de l'ancien village néolithique de Bercy, vestiges que l'on peut admirer au musée Carnavalet.

     

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    Le minutieux travail des archéologues exhumant de la grève sableuse l'une des pirogues monoxyles en bois de chêne. Crédit photographique INRAP (Iconothèque de l'Institut National de recherche archéologique préventive.)

     

    Des fouilles ont été menées à Bercy en 1990, en 1991, en 1992 et en 1996, afin de mettre au jour les restes d'un village installé sur les berges de la Seine depuis l'époque néolithique (4500-2000 avant J.-C.). Dans le cadre du « Projet Archéo 2000 », les objets collectés ont été installés dans l'ancienne Orangerie du musée Carnavalet.

     

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    Outre les pirogues que j'ai présentées dans mon article consacré aux vignes de Bercy, un arc de chasseur en bois d'if, datant de la période de Cerny (4600-4400 avant J.-C.), a été retrouvé. Il s'agit vraisemblablement du plus ancien arc conservé dans sa totalité. Taillé dans un if âgé de plus de 50 ans, il permettait de tirer des flèches d'environ 68 centimètres de long.

     

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    Moulage et reconstitution de l'arc d'après l'original. Ce travail a été accompli par Mr Blaise Fontannaz, facteur d'arc, spécialisé dans l'archerie traditionnelle.

     

    Situé sur la rive gauche de la Seine, à l'emplacement d'un ancien chenal, le gisement archéologique de Bercy a dévoilé des milliers d'objets de la vie quotidienne: outils de pierre, de silex et d'os, haches et meules de pierre, statuettes, céramiques décorées, figurines en bois de cervidé, ossements de poissons, de sangliers et de petits carnassiers...

     

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    De nombreuses coupes à socle datant du Chasséen (vers 4200 avant J.-C.), aux parois hachurées et ornées de motifs en damier et en losanges, ont été retrouvées dans la partie supérieure de l'ancien chenal, au-dessus des vestiges de l'époque de Cerny.

     

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    Cette hache en silex poli date du néolithique final (2700-2200 avant J.-C.). Elle a été exhumée lors des fouilles de 1991.

     

    Malgré les inondations périodiques qui ont obligé les habitants à reconstruire leurs maisons et à déplacer leur village au gré des caprices de l'eau et du ciel, les lieux ont été occupés pendant près de trois mille ans.

     

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    L'eau continue d'occuper une place très importante à Bercy où elle donne à certaines parties du jardin des allures de cité lacustre.

     

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    En face de la Maison du Lac, sur un îlot dominant un tapis de nénuphars, se dresse une fascinante sculpture contemporaine: la dixième des vingt « Demeures » réalisées par l'artiste contemporain Étienne-Martin en 1968. (Le trait d'union entre Étienne et Martin n'est pas une coquille. L'artiste a choisi de le placer entre son prénom et son nom.)

     

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    Divinité gardienne des cycles du temps, la Demeure 10 semble se nourrir des frissons de l'eau, des métamorphoses des couleurs, du souffle des éléments et des trilles des oiseaux. « Oeuvre-lieu » puissamment fantasmagorique, elle épelle de silencieuses sonorités vers les « mondes en contrebas ».

     

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    Elle se dévoile à fleur d'eau, au-dessus d'un magma d'ombres vertes et de lacis de lumière.

     

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    Corps enchevêtrés qui forment une maison-visage, émanation du ventre et de l'abri originels, la sculpture incarne le désir de se lover dans la hutte primordiale, la crypte matricielle du fond des âges et des eaux/os. « Elle s'enracine dans la nuit des réminiscences originelles; elle est à la fois l'idole caverneuse, l'infernale demeure et le vestige reconstitué, transposé en termes plastiques, des maisons des souvenirs de l'artiste. » Pierre Volboudt.

     

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    Étienne-Martin (1913-1995) est né à Loriol, dans la Drôme. A l'âge de 16 ans, il s'est inscrit à l'École des Beaux-Arts de Lyon, et, après un apprentissage qualifié de « traditionnel », il a décidé d'étudier la sculpture, de 1934 à 1939, à l'Académie Ranson de Paris, auprès de Charles Malfray (1887-1940), maître sculpteur, tailleur de pierre et survivant des tranchées de Verdun.

     

    La sculpture était pour lui quelque chose de profondément sensuel et matriciel, un art des creux, des gouffres et des cavités que l'on ne peut aborder autrement qu'avec le corps et en faisant appel à tous les sens.

     

    Inspiré par les « spiritualités mystérieuses », il a travaillé, de 1951 à 1956, à un « Hommage à l'écrivain Howard Phillips Lovecraft » qui s'appelait initialement « le Grand Rythme ». Ce plâtre monumental n'existe plus mais le souvenir de ses structures alvéolées complexes perdure dans les anfractuosités des Demeures où s'entrelacent les cauchemars et les rêves.

     

    H P Lovecraft (1890-1937) est un auteur américain rendu célèbre par ses récits fantastiques, oniriques, macabres, ses contes d'horreur et ses ouvrages de dark fantasy et de science-fiction. Un petit clin d'oeil aux aficionados du Necronomicon et du Mythe de Cthulhu...

     

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    Étienne-Martin a commencé en 1954 la série des Demeures et a reçu en 1966 le grand prix de sculpture à la 33e Biennale de Venise. Il existe vingt Demeures de taille variée, réalisées chacune dans des matériaux différents. Elles le ramènent toutes à la maison natale de Loriol dont il dira: « Un jour, j’ai été obligé de me séparer de ma maison, là où j’étais né, et j’en ai été choqué et peiné. Mais elle est restée tellement présente en moi que j’ai eu le désir de l’explorer. (…) En travaillant sur ce thème, j’ai retrouvé la forme, la lumière, les gens, tout ce qui constituait l’âme de cette maison.»

     

    « Construire, c'est pénétrer dans la matière, traverser l'épaisseur où se lovent les hantises originelles... »

     

    Étienne-Martin aimait les sculptures d'Océanie aux cavités gorgées de « sacré », les tabernacles et les sculptures-tombeaux étrusques. Il était également fasciné par l'art égyptien monumental, les pyramides et les colosses d'Abou Simbel. Il invoquait sous ses doigts d'artiste ce qui naît, meurt et renaît dans la terre et le sable.

     

    Il considérait le bois comme la matière primordiale et la pierre comme une source de résonances infinies. Les végétaux aux formes étranges, les fleurs séductrices et les plantes dotées de profondes racines l'inspiraient aussi.

     

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    En contemplant les nénuphars gorgés de soleil qui s'épanouissent au pied de la Demeure X, on se détache doucement des bruits de la ville. Le regard caresse les délicats pétales blancs et les larges feuilles ovales, épaisses, cireuses et d'un vert satiné, qui flottent à la surface de l'eau.

     

    Le nénuphar blanc ou nymphaea alba est une plante aquatique, originaire d'Inde, qui fleurit, de juin à août, dans les eaux calmes et les étangs d'Europe et d'Asie. Ses noms vernaculaires: « reine des lacs » « lys des étangs », « clef de Vénus », « rose ou lune d'eau »... témoignent de sa nature enchanteresse.

     

    On l'appelle aussi « horloge des eaux » car il commence à se déployer à l'aube. A midi, il s'ouvre bien au-dessus de l'eau et à partir de quatre heures, il se referme lentement. Sa tige est un rhizome spongieux qui traverse les profondeurs de l'eau pour engendrer une multitude de petites racines. Son fruit gorgé de graines ressemble à une capsule de pavot.

     

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    Les vertus du nénuphar sont connues depuis des temps très anciens. Le nom de cette « sorcière des eaux » vient du sanscrit « nilotpatan » ou « nipplupal » qui devint « nilufar » ou « ninûfar » en arabe et finalement « nénuphar ».

     

    La mythologie grecque nous rapporte que le héros Hercule transforma en nénuphar une nymphe qui se consumait de passion pour lui.

     

    Fleur sacrée, compagne des déesses indiennes, aimée pour ses nacres issues des « eaux primordiales » dans l'Égypte ancienne, elle devint l'un des motifs les plus utilisés dans l'Art Nouveau. Les maîtres ébénistes et verriers de l'École de Nancy déclinèrent ses formes poétiques à travers de nombreux matériaux.

     

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    Le Nénuphar, 1898, par Alfons Mucha (1860-1939).

     

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    Vitrail aux nénuphars de Jacques Grüber (1870-1936).

     

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    Lampe nénuphar en pâte de verre et en bronze doré et ciselé, conçue par Louis Majorelle (1859-1926) et exécutée par la maison Daum en 1902.

     

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    Lit aux nénuphars en acajou, bois d'amourette, marqueterie de bois précieux et bronze doré et ciselé, réalisé entre 1905 et 1909 par Louis Majorelle. On peut admirer ce chef-d'oeuvre au musée d'Orsay.

     

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    Le nénuphar inspirait les artistes Art Nouveau en raison de la sensualité de ses formes mais dans l'Antiquité on l'utilisait pour réprimer le désir et dissiper les songes érotiques. A l'époque médiévale, on le qualifiait d'« herbe aux moines » ou de « plante aux moniales ». Son nom savant de « nymphaea » désigne la blancheur virginale de ses pétales consacrés aux nymphes et aux jeunes mariées.

     

    Il existe aussi des nénuphars jaunes, roses ou tirant vers le fuchsia.

     

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    Photo Aquatic Bezançon

     

    L'onguent de nénuphar était jadis employé pour adoucir la peau, atténuer plaques et rougeurs et apaiser certaines inflammations.

     

    Riche en tanins et en amidon, le rhizome était utilisé pour apprêter les cuirs, teindre les tissus en noir et fabriquer une farine dite « de disette ».

     

    Dans le folklore de l'ancienne Europe, le nénuphar était réputé éloigner les esprits malfaisants, protéger les voyageurs et le bétail contre les animaux nuisibles et les créatures vampiriques de la nuit.

     

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     Il était aussi le gardien des petites fées...

     

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    Le nénuphar, aquarelle de John Lafarge (1835-1910), peintre et maître verrier américain.

     

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    Dans le Jardin Romantique de Bercy, on se laisse happer par le murmure du vent dans les hautes herbes et les chants d'oiseaux facétieux.

     

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    Nous évoluons dans une utopie végétale qui reflète, entre désir de mémoire et soif de modernité, la passion de ses créateurs.

     

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    L'eau verte serpente entre les hautes herbes et forme un gracieux petit étang.

     

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    Les promeneurs et les oiseaux apprécient cette construction sur pilotis qui se dévoile avec élégance dans le paysage.

     

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    Espace de rencontre, de rêverie ou de méditation à fleur d'eau...

     

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    A la saison propice, les fleurs sont souveraines.

     

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    Les roses trémières m'ont enchantée...

     

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    Au bord de l'eau, palpite une végétation luxuriante où s'abritent de nombreux oiseaux.

     

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    Poules d'eau, canards, et même un héron cendré s'ébattent joyeusement dans cet espace privilégié.

     

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    Les poules d'eau (gallinula chloropus) se laissent approcher de plus en plus facilement.

     

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    Les poules d'eau adolescentes, dont la couleur diffère avec celle de leurs parents, s'occupent des poussins avec beaucoup de soin.

     

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    Mais qu'aperçois-je de bon matin, immobile comme une statue?

     

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    Monsieur héron cendré, un grand oiseau gris, au port majestueux, doté de longues pattes grêles jaune grisâtre, d'un cou étiré et d'un grand bec jaune grisâtre en forme de poignard. Son ventre, le dessus de sa tête et son cou sont zébrés de noir. Il émet des cris rauques et perçants.

     

    Le héron apprécie les zones humides peu profondes (étangs, marais, cours d'eau) et riches en nourriture. La nature de l'eau: douce, salée, saumâtre, vive ou dormante, lui importe peu. Redoutable chasseur, il peut rester appuyé, sur une seule patte, pendant des heures avant de fondre sur sa proie, de préférence des poissons, des anguilles et des batraciens. Il se nourrit aussi de petits rongeurs, d'insectes, de reptiles et de crustacés.

     

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    Le héron cendre est devenu la mascotte de Bercy, mascotte à laquelle une jeune fille a donné le nom d'Henry. Il se régale des poissons rouges qui nagent dans les eaux calmes du parc et savoure aussi des carpes et des petits gardons.

     

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    Étant donné la quantité de poissons qui s'offre en ces lieux, Henry n'est pas près de crier famine!

     

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    Sources et bibliographie

     

    «Les Demeures», ouvrage collectif, catalogue d'exposition, Éditions du Centre Pompidou, Paris, 1984

     

    MULLER Joseph-Émile: L'art au XXe siècle. Paris:Larousse, 1967.

     

    PESSARD Gustave: Nouveau dictionnaire historique de Paris. Paris: Lejay, 1904.

     

    VALLIER Dora: L'art abstrait. Paris: le livre de poche, 1980.

     

    VOLBOUDT Pierre: Étienne-Martin, revue du XXe siècle, numéro 39, décembre 1972, pages 130 à 132.

     

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    Le Parc de Bercy nous réservant bien d'autres surprises, je vous donne rendez-vous dans quelques jours pour la suite de cette promenade. Je vous remercie de m'avoir accompagnée sur ces chemins buissonniers qui se fondent dans les méandres du temps...

     

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    Avec mes amicales pensées, gros bisous!

    Plume

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    Hans Anderson Brendekilde (1857-1942), Le jardin japonais, vers 1900. Cet artiste danois, orienté vers le réalisme, excellait aussi à peindre les « effets d'atmosphère » et le rouge automnal.

     

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    J'aime profondément l'Automne. La Nature nous conte ses couleurs précieuses tout en glissant vers le plus doux et mystérieux des sommeils, celui de l'Hiver. Laissons-nous happer par cette alchimie de sortilèges chauds et sucrés...

     

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    Lucien Lévy-Dhurmer (1865-1953), artiste symboliste. Coup de vent, 1910.

     

                              Poésie d'Automne

                              Sous les platanes féeriques

                             Drapé dans sa robe de sang

                             Flamboyant et fantomatique

                             L'automne danse avec le vent

     

                             Feuilles d'or mat qui caracolent

                             Entre les ombres mélangées

                             Passe une rouge farandole

                             Au sillage étrange et sucré

     

                             Elle s'est enivrée de lumière

                             La nymphe des soirs mystérieux

                             L'été s'endort et si légère

                             Elle suit le cortège des dieux

     

                             Emportée par les mots sauvages

                             Et le temps qui pulse à rebours

                             Dans le crépitement volage

                             Des bacchanales de velours

     

                             Sous la pâlissante ramure

                             De la clairière au chant vermeil

                             La coupe des heures obscures

                             Aimante le feu du sommeil

     

                             Elle papillonne et s'aventure

                             Sur la mue rousse du chemin

                             L'automne dans sa chevelure

                             Souffle la pourpre et le carmin...

     

                                                       Cendrine

     

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    Lucien Lévy-Dhurmer, Automne, vers 1900.

     

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    Régalez-vous de mille et un trésors, de petits riens, d'instants voluptueux et de couleurs enfiévrées...

     

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    De la rouille des marronniers à la soie rose et parme des dahlias, l'Automne s'enracine dans le paysage.

     

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    Premières feuilles métamorphosées dans la lumière d'or... (Je n'ai pas « saturé » le bleu du ciel, les couleurs sont naturelles.)

     

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    Enivrons-nous de cette éphémère beauté...

     

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    Je vous souhaite un très bel Automne! Merci de votre fidélité...

     

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    La feuille sur l'océan des rêves... (Illustration de Joséphine Wall.) Image20.gif

    Plume

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    Aux portes de l'équinoxe d'automne, alors que tourbillonnent les premières feuilles mordorées, les Journées du Patrimoine nous invitent à commémorer le centenaire de la loi du 31 décembre 1913, texte fondateur de la loi de protection des monuments historiques en France.

     Il s'agit d'un double anniversaire car, depuis trois décennies, les Journées européennes du Patrimoine sont une résonance de l'héritage transmis par la loi de 1913.

     

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    Cette trentième édition a pour but de stimuler la volonté des citoyens de s'engager au nom de la sauvegarde du patrimoine. Elle fait aussi revivre les grandes dates de l'histoire de la préservation des monuments historiques.

     

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    Le musée de Cluny photographié depuis le square Paul Painlevé.

     

    Après la Révolution Française, des intellectuels, des hommes politiques et des citoyens prirent conscience de l'importance du patrimoine dont ils avaient hérité. Cette « révélation » se nourrissait du sentiment d'appartenance à la Nation.

     

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    Les premières initiatives de protection des monuments historiques furent mises en place sous la Monarchie de Juillet mais il faut saluer des initiatives plus anciennes comme celle d'Alexandre Lenoir (1761-1839), médiéviste amateur qui fut témoin de la destruction des tombeaux royaux de la basilique Saint-Denis, décrétée par la Convention, le 1er août 1793.

     

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    Portrait d'Alexandre Lenoir par Jacques-Louis David (1748-1825).

     

    Il s'employa à lutter contre le vandalisme révolutionnaire et parvint à soustraire de nombreuses oeuvres à la fureur populaire en les installant dans la cour de l'ancien cloître du couvent des Petits-Augustins (actuelle école des Beaux-Arts). En 1795, il ouvrit au public le Musée des monuments français, qu'il administra pendant une trentaine d'années. Son courage et sa ténacité nous permettent de contempler aujourd'hui des vestiges fondamentaux de notre histoire.

     

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    Pendant la Monarchie de Juillet, naquit une « conscience patrimoniale » qui permit de sauver de nombreux édifices endommagés par le temps.

     

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    La Monarchie de Juillet (1830-1848) est le régime monarchique constitutionnel instauré en France après les Trois Glorieuses, soit après les journées des 27, 28, 29 juillet 1830 qui firent tomber Charles X de Bourbon au profit de Louis-Philippe Ier d'Orléans. Le tableau décrit les combats sur le Pont-Neuf et l'attaque du Louvre pendant la journée du 29 juillet 1830. Cette oeuvre, issue de l'école française de la première moitié du XIXe siècle, est conservée au musée Carnavalet.

     

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    Eugène Delacroix (1798-1863), La Liberté guidant le peuple, 1830.

     

    L'oeuvre magistrale de Delacroix traduit, avec une fougue romantique et un fascinant réalisme, les évènements qui précipitèrent l'avènement de la Monarchie de Juillet. Résolument novatrice, la composition met en scène l'allégorie de la Liberté qui franchit les barricades pour guider le peuple, après la remise en cause des acquis de la Révolution de 1789 par Charles X et son très impopulaire ministre, le Prince de Polignac.

     

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    La structure pyramidale de l'oeuvre exalte la puissance de l'assaut final. La Liberté guide la foule, dans un fracas de poussière, vers le camp adverse. Elle est à la fois déesse, fille du peuple et incarnation de la Révolution de 1789. Coiffée du bonnet phrygien, elle arbore un habit jaune qui laisse apercevoir sa poitrine tout en rappelant subtilement les drapés antiques. Elle brandit de la main droite le drapeau de la révolte et tient dans la main gauche un fusil, modèle 1816.

     

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    Sa silhouette de Victoire antique, à la forte et sensuelle musculature, se découpe sur un panache de fumée. Le drapeau, qui ondule comme une flamme, attire le regard du spectateur vers la toile rouge, imprégnée d'une lumière de sang.

     

    Delacroix a particulièrement soigné la description des personnages qui l'entourent et notamment les gamins de Paris, forces vives de la ville et du nouvel âge qui s'annonce.

     

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    Celui qui se tient à sa gauche, du côté du fusil, exhorte par un cri les insurgés à poursuivre le combat. Il symbolise la jeunesse révoltée par l'injustice et annonce, avec son béret de velours noir, le personnage de Gavroche que l'on trouvera dans les Misérables de Victor Hugo trente ans plus tard. Il porte une giberne en bandoulière (boîte recouverte de cuir dans laquelle les soldats plaçaient les cartouches et différents objets pour l'entretien des armes) et brandit un pistolet de cavalerie dans chaque main.

     

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    De l'autre côté du tableau se dresse un ouvrier manufacturier, coiffé d'un béret et vêtu d'un pantalon à pont (ou pantalon de marine) et d'un tablier. Il arbore la cocarde blanche des monarchistes et le nœud rouge des libéraux. Il brandit un sabre des compagnies d’élite d’infanterie, modèle 1816, ou briquet. Le pistolet qu'il tient à la ceinture est retenu par un foulard qui symbolise le mouchoir rouge de Cholet, barré de raies blanches, évoquant le souvenir du sang des Vendéens.

     

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    A côté de lui, apparaît un homme coiffé d'un chapeau haut de forme. Agenouillé sur les corps, il est vêtu d'une veste noire et d'un pantalon large tenu par une ceinture de flanelle rouge. Il brandit une arme de chasse appelée tromblon, à deux canons parallèles. Certains critiques d'art ont cru reconnaître en lui le visage de Delacroix ou d’un de ses amis.

     

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    Aux pieds de la Liberté, un homme au foulard noué sur la tête, ensanglanté, parvient à réunir ses forces pour se redresser. Sa chemise bleue et sa ceinture rouge font écho aux couleurs du drapeau.

     

    Au premier plan, se trouvent des cadavres de soldats et au fond de l'image, des étudiants, dont un polytechnicien au bicorne bonapartiste.

     

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    Le paysage est un personnage à part entière du tableau. Nous apercevons les tours de Notre-Dame qui percent le panache de fumée et la lumière du soleil couchant. Les constructions situées entre la cathédrale et le fleuve sont issues de l'imagination de l'artiste.

     

    L'oeuvre de Delacroix symbolise tout autant la révolution citoyenne que la révolution picturale moderne et romantique. Mais elle fut rejetée par la critique et dut attendre pour connaître la célébrité qu'on lui connaît.

     

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    Elle entra en 1863 au musée du Luxembourg et fut transférée au Louvre en 1874. Entre 1978 et 1995, elle illustra les billets de cent francs.

     

    Depuis décembre 2012, elle est exposée dans l'exposition La Galerie du Temps au Louvre-Lens.

     

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    C'est sous la Monarchie de Juillet que se mirent en place, grâce au ministre François Guizot (1787-1874) et aux inspecteurs généraux Prosper Mérimée (1803-1870) et Ludovic Vitet (1802-1873), les premières mesures de protection légale des monuments historiques.

     

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    Portrait de François Guizot, homme d'État et historien, par Jehan Georges Vibert (1840-1902), au musée national du château de Versailles.

     

    L'«ère Guizot» fut celle des « lois d'affaires » qui favorisèrent l'essor de la haute bourgeoisie et l'expansion industrielle de la France, en grande partie grâce au développement du chemin de fer.

     

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    Portrait de Prosper Mérimée par Simon Jacques Rochart (1788-1872), conservé au Musée Carnavalet, Paris.

     

    Écrivain de renom, grand voyageur, ami de la famille impériale, inspecteur général des monuments historiques puis sénateur, il fut à l'origine d'une politique de consolidation et de restauration active de grands édifices.

     

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    On aperçoit sur ces photographies, signées Séraphin-Médéric Mieusement (1840-1905), le démontage des maçonneries du déambulatoire de la Cathédrale de Sées, dans l'Orne, vers 1850, en vue d'une restauration. (Crédit photographique: Médiathèque de l'architecture et du patrimoine.)

     

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    Ludovic Vitet (1802-1873) obtint, auprès du ministre François Guizot, la création et le poste d'inspecteur général des monuments historiques, rattaché au ministère de l'Intérieur. Il effectua plusieurs voyages en France pour répertorier les monuments, les musées, les bibliothèques, les archives et les écoles d'enseignement artistique. Le rapport qu'il écrivit en 1831 fut utilisé par Victor Hugo quand ce dernier publia sa « Guerre aux démolisseurs », en 1832.

     

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    Vitet était un grand érudit, président de la commission des Monuments historiques, créée à son initiative, jusqu'en 1848. Il entretint avec Mérimée une relation épistolaire. Il fut membre de l'Académie Française et député.

     

    Après les troubles de la Commune et une courte période d'emprisonnement, il fut réélu député et devint le rapporteur de la loi du député Rivet qui institua la Troisième République. Il retrouva sa place de président de la Commission des monuments historiques.

     

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    Salamandre photographiée dans le square Léopold Achille, à proximité du musée Carnavalet. Ce vestige d'un hôtel particulier de la Renaissance a été préservé grâce à la politique instituée sous la Monarchie de Juillet.

     

    Grâce aux nombreuses publications de Ludovic Vitet, des listes de monuments majeurs, classés par ordre d'importance, virent le jour entre 1842 et 1875.

     

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    En 1825, Victor Hugo (1802-1885) écrivit « Il faut arrêter le marteau qui mutile la face du pays. Une loi suffirait; qu’on la fasse!

     

    Quels que soient les droits de la propriété, la destruction d’un édifice historique et monumental ne doit pas être permise à ces ignobles spéculateurs que leur intérêt aveugle sur leur honneur; misérables hommes, et si imbéciles, qu’ils ne comprennent même pas qu’ils sont des barbares ! Il y a deux choses dans un édifice, son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde; c’est donc dépasser son droit que de la détruire. »

     

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    Le roman Notre-Dame de Paris, publié en 1831, se présenta comme un manifeste en faveur de la sauvegarde des monuments anciens. Nous contemplons ici la reproduction de la première page du manuscrit. L'original est conservé à la BNF.

     

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    Vue sur le chevet de la cathédrale depuis le quai d'Orléans, en bordure de l'Île Saint-Louis.

     

    « En attendant les monuments nouveaux, conservons les monuments anciens. Inspirons, s'il est possible, à la nation l'amour de l'architecture nationale. C'est là, un des buts principaux de ce livre. » écrivit-il dans sa préface de 1831. Deux ans plus tard parut sa Lettre sur le vandalisme en France.

     

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    A son initiative, la première loi française sur les monuments historiques fut adoptée le 30 mars 1887 mais comme elle ne fut pas jugée véritablement « satisfaisante », elle vit son contenu évoluer pour donner naissance à la loi du 31 décembre 1913.

     

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    Portrait de Victor Hugo, vers 1884, par Nadar (alias Gaspard-Félix Tournachon, 1820-1910).

     

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    A cause de la première Guerre Mondiale, le décret d'application de la loi ne fut adopté que le 18 mars 1924.

     

    Il fallut intervenir auprès de monuments classés et très endommagés comme la cathédrale de Reims et intégrer à la liste des monuments répertoriés les monuments commémoratifs, les stèles individuelles et collectives, les cimetières militaires et même les champs de bataille.

     

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    La cathédrale de Reims avec les ruines de la rue de Vesle au premier plan. Photographie de. J. J. Moreau © Archives Larousse.

     

    Pendant la seconde guerre mondiale, il y eut plusieurs arrêtés de classement destinés à placer des biens sous la protection de l'article 56 de la Convention de La Haye afin d'éviter la réquisition et la destruction de nombreuses oeuvres. Mais comme en vertu d'une loi promulguée par le Gouvernement de Vichy, le 11 octobre 1941, les statues métalliques non ferreuses devaient être fondues, les allemands firent disparaître de nombreuses sculptures dans les jardins et sur les places de Paris.

     

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    Dans ce contexte, la statue du Général Thomas Alexandre Dumas (1762-1806) qui se dressait autrefois sur la place du Général Catroux, dans le 17e arrondissement de Paris, fut détruite par les allemands en 1942. Vous pouvez retrouver son histoire dans un des premiers articles paru sur mon blog et intitulé Flânerie dans la rue Georges Berger.

     

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    Le 25 février 1943, sous le Gouvernement de Vichy, une loi de « visibilité » des monuments historiques offrit un rôle majeur aux architectes des Bâtiments de France, chargés de s'assurer que les travaux effectués près des monuments classés et inscrits ne puissent endommager ces derniers.

     

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    Trois ministres s'illustrèrent, pendant la seconde moitié du XXe siècle, en matière de reconnaissance de l'architecture moderne: André Malraux (1901-1976), Michel Guy (1927-1990) et Jack Lang, né en 1939.

     

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    Le premier immeuble du XXe siècle à être classé, en dehors des bâtiments liés aux conflits mondiaux, fut le théâtre des Champs-Elysées, en 1957.

     

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    Ce théâtre fut construit en 1911, dans un style mixte classique et art déco, par Auguste Perret (1874-1954), assisté de ses frères Claude et Gustave. Perret fut l'un des premiers entrepreneurs à utiliser le béton armé dans la construction.

     

    La façade, recouverte de marbre blanc, présente des bas-reliefs d'Antoine Bourdelle (1861-1929) qui ont pour thème l'histoire des Muses et d'Apollon.

     

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    La Danse, 1912.

     

    Bourdelle représente ici la célèbre danseuse Isadora Duncan (1878-1927), morte étranglée par un foulard qui s'entortilla dans les rayons de la roue d'une voiture en marche.

     

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    Portrait d'André Malraux (1901-1976).

     

    Le 4 octobre 1962, la loi dite « Malraux » sur les secteurs sauvegardés a mis en lumière une vision nouvelle du patrimoine consistant à classer des ensembles urbains comme ceux de Lyon (1962), de Besançon (1964), de Sarlat-la-Canéda (1964) et de Saint-Germain-en-Laye (1964).

     

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    La loi du 8 janvier 1993 a créé des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager. Elle a été renforcée par la loi dite « Grenelle II » du 12 juillet 2010.

     

    L'attention se porte désormais vers de « nouvelles catégories de biens » comme les chemins de fer et leur histoire complexe et mouvementée; les usines, les châteaux d'eau, les mines, les véhicules hippomobiles, les machines de construction, les voitures et les avions.

     

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    Cette photographie montre une automotrice Rowan de la Compagnie Générale des Omnibus au terminus de la ligne TK, devant le Louvre. Ces automotrices furent conçues par l'ingénieur anglais Rowan et essayées à Copenhague en 1875. Elle apparurent à Paris en 1889, pour l'Exposition universelle, et furent utilisées à Lyon et Tours. Elles circulèrent à Paris jusqu'au 15 novembre 1913.

     

    Les années 1990 ont été marquées par des débats sur le « patrimoine culturel immatériel de l'humanité », débats qui ont abouti, le 17 octobre 2003, à la Convention de l'UNESCO pour la sauvegarde de ce patrimoine particulier. Cette Convention a été ratifiée par la France en 2006. Ainsi, des pratiques et des savoir-faire comme la tapisserie d'Aubusson, le Fest-noz breton ou le Compagnonnage ont été inscrits en 2010 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

     

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    L'éducation d'Apollon, d'après un carton de Charles Coypel (1694-1752). Tapisserie en laine et soie de la manufacture royale d'Aubusson, milieu du XVIIIe siècle.

     

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    Enseigne des Compagnons du Devoir, place Saint-Gervais, dans le 4e arrondissement de Paris.

     

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    A une époque où certaines mairies choisissent de détruire leur église ou les vestiges de certains châteaux sous prétexte que cela coûte trop cher de les conserver, n'oublions pas que nos villes et nos campagnes sont des musées à ciel ouvert. Les édifices anciens, qu'ils soient religieux on non, font partie intégrante du paysage et sont les réceptacles de l'histoire et de la vie de nos ancêtres.

     

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    L'église Saint-Pierre Saint-Paul de Sarcelles, située près de chez moi. Je vous en reparlerai bientôt.

     

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    Je vous souhaite de très belles journées du patrimoine. Réjouissez-vous, explorez les cours secrètes, les jardins archéologiques, les galeries qui serpentent sous la terre et les forteresses dans les nuages. Ouvrez les portes closes et pénétrez dans des cryptes façonnées par la ferveur des Hommes. Élevez votre regard vers les cimes célestes et contemplez le savoir-faire des bâtisseurs du patrimoine. Que vos pensées s'entrelacent avec les spires du temps...

     

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    Vous pouvez retrouver le programme de ces belles journées à l'adresse suivante:

     www.journeesdupatrimoine.culture.fr

     

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    Pour répondre aux ami(e)s qui me l'ont demandé, j'ai l'intention de retourner visiter le Palais du Luxembourg. J'avais exploré les salles de ce bâtiment magnifique, lors de précédentes Journées du Patrimoine, mais mon appareil photo avait un zoom moins puissant que mon appareil actuel.

     

    Et de séduisantes découvertes s'annoncent ensuite...

     

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    Je vous remercie pour les nombreux messages que vous m'avez envoyés à l'occasion du deuxième anniversaire de mon blog. Ils m'ont beaucoup touchée.

     

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    Avec mon amitié, ce petit panier de roses...

    Plume

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    Charles Wysocki (1928-2002), illustrateur américain.

     

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    Deux années se sont écoulées depuis la création de mon blog. Fidèles lectrices et lecteurs, depuis septembre 2011, la passion m'a emportée. J'ai fait de bien jolies rencontres et l'amitié s'est épanouie comme une rose dans la lumière d'été.

     

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    (Somptueuse rose « Madame Delbard », photographiée cet été dans le square Saint-Gilles Grand Veneur qui fera l'objet d'un prochain article.)

     

    Les liens tissés, entre le virtuel et la réalité, nous ont permis de nous connaître davantage alors je vous remercie, vous qui déposez dans mon univers les couleurs de vos émotions. Merci pour votre constance et votre sensibilité!

     

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    Je me réjouis de vous montrer Paris au fil de mes articles, Paris en lettres capitales, aimant pour les avancées majeures et les bouleversements de l'Histoire, entité tentaculaire étirant toujours plus haut ses constructions anciennes et futuristes... Ville mythique dont les charmes se déclinent à travers le maillage du Temps, riche de ses constructions éclectiques, de ses allées triomphales et de ses squares enivrés de verdure qui protègent des bulles d'intimité.

     

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    Entre lieux intimistes et monuments connus, Paris nous enchante et nous attire sur ses chemins buissonniers. Ce ne sont pas les gargouilles de Notre-Dame, perchées dans les couleurs du temps, avec une vue imprenable sur les mystères de l'Île de la Cité, qui me contrediront!

     

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    Au rythme des saisons, laisser caracoler ma plume dans les méandres de Paris est un bonheur toujours renouvelé.

     

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    Paris est une flamme dont l'intensité ne faiblit jamais, une boîte à trésors qui nous laisse de temps à autre entrevoir la clef des secrets...

     

    Deux bougies pour Ma Plume Fée dans Paris!

    Ce matin-là, je me suis arrêtée devant la porte d'un immeuble Belle-Époque, situé vers le milieu de la rue Saint-Jacques, probablement la plus ancienne voie religieuse et commerciale de Paris, empruntée par les nombreux pèlerins qui se rendaient à Compostelle.

     Je ne me souviens plus du numéro. D'habitude, c'est ce que je note en premier dans mon carnet mais ce jour-là, deux angelots aux gestes ésotériques ont investi mes pensées.

     Le premier me regardait en tenant une clef.

     

    Deux bougies pour Ma Plume Fée dans Paris!

     

     

    Deux bougies pour Ma Plume Fée dans Paris!

    L'autre, avec son doigt sur la bouche, reprenait l'attitude d'Harpocrate, le dieu du silence et semblait me prévenir que commençait ici le royaume des secrets.

     

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     Son geste imposait la discrétion et stimulait la curiosité, de même que la petite enveloppe qu'il brandissait de la main droite.

     

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     Mais c'est la clef qui a aimanté mon attention.

    Clef de la ville ou des champs, des songes perdus dans le frisson des nuées, clef de l'intrigue ou clef de voûte étoilée...

    Clef de sol, d'ut ou de fa tissée sur les fils de l'arc-en-ciel, clef des plaisirs défendus, des sortilèges et des initiés... Le mot « clef » me séduit par son bruit d'eau vive et son ancienne graphie, réminiscence des cours de grammaire historique où le langage, à travers ses strates ambivalentes, devenait code et cryptex pour des esprits bouillonnants de sève.

    Le « f », la lettre qui ne se prononce plus, évoque irrémédiablement le mystère, celui qu'on a voulu gommer par une subtile opération d'alchimie linguistique mais l'angelot n'a pas oublié les étapes de la transformation du mot.

    Il y eut le latin « clavis » signifiant « clef, loquet, instrument de métal servant à ouvrir et à serrer » et sa variante « clavus », le « clou ».

    Il y eut la serrure primitive, constituée d'une cheville ou d'un clou glissé dans un anneau et la barre métallique utilisée pour ouvrir une porte. Par extension, la clef devint le code nécessaire pour déchiffrer un texte. L'idée de fermeture et de secret est omniprésente dans ses dérivés: clavicule, conclave, cheville...

    Suspendue aux lèvres du mystère, la clef active un balancier entre la mort et la vie, la fin et le commencement. Au Moyen-âge, elle fut l'instrument qui servait à tendre la corde d'une arbalète et l'outil permettant de calculer la date des fêtes mobiles, fêtes lunaires au parfum de paganisme enfiévré.

    Bijou et amulette, elle fut et demeure le charme d'amour enfoncé dans la serrure du coeur, charme dont l'angelot connaît la puissance...

    La clef de l'harmonie, sur la portée du silence, qui nous invite à suspendre nos mouvements erratiques et à contempler, dans les ombres et les patines du temps, une parcelle d'Or Universel.

     

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    A nouveau, ami(e)s lectrices et lecteurs, je vous remercie pour ces deux années écoulées et je vous donne rendez-vous, dans quelques jours, pour la suite de notre promenade au parc de Bercy.

     

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     Avec mon amitié!

    Plume

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