• Image1

    Ce remarquable ouvrage, tout en courbes et en légèreté, enjambe la Seine entre le Louvre et l'Institut de France, dont la coupole dorée s'élance vers les nuages.

     

    La Passerelle des Arts

    Le 15 mars 1801, la construction de cette audacieuse passerelle, premier pont métallique national, fut décidée par un décret de Bonaparte.

     

    Le 28 avril 1801, le projet fut présenté, au Conseil des Ponts et Chaussées, par l'ingénieur Louis-Alexandre de Cessart (1717-1806).

     

    Image2

     

    Le 25 juillet 1802, par un arrêté consulaire, la Compagnie des Trois-Ponts, gestionnaire du chantier, reçut l'ordre d'utiliser la fonte, un nouveau matériau plébiscité par l'industrie anglaise. L'ingénieur Jacques Vincent Lacroix de Dillon (1760-1807) réalisa une oeuvre résolument moderne entre le Pont-Neuf et le Pont-Royal.

     

    Image3

     

    Neuf arches en fonte soutenaient une plate-forme horizontale réservée aux piétons. Dès son inauguration, le 23 septembre 1803, la Passerelle des Arts devint une promenade à la mode. Le visiteur s'acquittait d'un droit de péage et découvrait le pont, conçu comme un jardin suspendu au-dessus des flots. Des bouquets parfumés, des arbustes verts, des plantes exotiques et des orangers en pots étaient répartis de part et d'autre des balustrades.

     

    Les amoureux et les passants pouvaient jouir de la plaisante atmosphère des lieux, grâce aux bancs, aux échoppes et aux bateleurs qui s'y trouvaient. Un glacier y avait établi ses quartiers. Au fil de la nuit, les rencontres et les discussions s'étiraient, dans un ballet de lanternes...

     

    Il faut toutefois préciser qu'on pouvait éviter de payer « un sou » et passer par le Pont-Neuf.

     

    Image4

    Le Premier Consul Bonaparte, par Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1803.

     

    Malgré les inquiétudes énoncées par les célèbres architectes Percier et Fontaine, Bonaparte imposa le choix d'un pont métallique mais il regretta ensuite l'absence de monumentalité de l'ouvrage et craignit pour sa solidité.

     

    De la Passerelle au Pont des Arts

    Après les ponts de Coalbrookdale et de Sunderdale en Angleterre, la Passerelle des Arts apparut comme un symbole de progrès industriel et de modernité. Elle unissait avec élégance les deux rives du fleuve et desservait le Port Saint-Nicolas.

     

    Image5

    Vue du Quai du Louvre et Port Saint-Nicolas au XVIIIe siècle, par J.-B. Lallemand (Gallica).

     

    Le Port Saint-Nicolas se situait en aval de l'île de la Cité, alors que la plupart des ports de Paris se trouvaient en amont. La raison en était simple, les piles des ponts constituaient des obstacles dangereux pour le passage des bateaux. Le port recevait des denrées alimentaires et le foin destiné aux chevaux de la cavalerie royale. Il reliait la capitale à la ville de Rouen et fut en activité jusqu'en 1905.

     

    Image6

    Vue du quai Saint-Nicolas au pied de la Grande Galerie du Louvre, vers 1750, par Jean-Baptiste-Nicolas Raguenet (1715-1793).

     

    A partir de 1942, les vestiges du port furent aménagés en une agréable promenade qui offrait une vue imprenable sur la Passerelle des Arts. Mais « la dame de fonte » subit des bombardements qui la fragilisèrent et trois accidents fluviaux majeurs, en 1961, en 1973 et en 1979.

     

    Image7

    (Cette photographie appartient à la collection de Léonard Pitt,
    auteur de Promenades dans le Paris disparu.)

     

    Elle avait déjà perdu une arche, en 1852, lors de l'élargissement du Quai de Conti, mais après la collision d'une barge avec une de ses piles, en 1979, elle s'effondra sur près de soixante mètres. Détruite en 1981, elle fut remplacée, entre 1982 et 1984, par une copie en acier. L'architecte urbaniste Louis Gerald Arretche (1905-1991) réalisa la nouvelle passerelle, d'une longueur de 155 mètres, composée de sept arches symétriques en acier, élargies pour favoriser le passage des péniches et des bateaux mouches.

     

    Image8

     

    Image9

    Les passes navigables se situent dans l'alignement de celles du Pont-Neuf.

     

    Image10

     

    Alors que le plancher du pont en azobé ou bois de fer, un bois d'Afrique imputrescible, résonne sous les pas, la Galerie du bord de l'eau révèle sa sublime scénographie.

     

    Cette Grande Galerie fut construite, entre 1595 et 1610, sous le règne d'Henri IV, par Louis Métezeau (1560-1615) du côté est, et Jacques II Androuet du Cerceau (1550-1614) du côté ouest. Coupant l'enceinte de Charles V, elle permettait au roi d'accéder aux Tuileries depuis ses appartements du Louvre et se terminait par le Pavillon de Flore.

     

    Le Cardinal de Richelieu y fit installer l'Imprimerie et la Monnaie Royale des Médailles, en 1640, mais elle accueillit surtout, jusqu'en 1806, des boutiques, des logements et des ateliers d'artistes.

     

    Image11

    De 1697 à 1777, les plans-reliefs ou maquettes des villes fortifiées
    du royaume y furent exposés.

     

    Image12

    La Grande Galerie par Hubert Robert, vers 1789.

     

    Le 10 août 1793, le Louvre devint le Muséum central des Arts. Il fut appelé Musée Napoléon en 1803 et plus communément « Palais des Arts » sous le Premier Empire.

     

    Entre 1861 et 1870, la partie occidentale de la galerie fut démolie puis reconstruite par Hector Lefuel (1810-1880) dans un style imitant celui de Louis Métezeau mais le bâtiment fut élargi pour accueillir la collection de carrosses et de voitures de Napoléon III, favoriser l'installation des appartements d'honneur et la création d'une salle pour la réunion des États.

     

    Image13

    Les pilastres, les guirlandes, les frontons et les fenêtres qui rythment la façade ont été recréés, dans un style composite, 250 ans après la mise en oeuvre du « Grand Dessein » d'Henri IV.

     

    Image14

     

    En tournant le dos à ce décor magnifique, il suffit d'emprunter le Pont des Arts pour rejoindre l'Institut de France sur la rive gauche, Quai de Conti.

     

    Image15

     

    La fondation de ce monument « vénérable » appelé Collège Mazarin ou Collège des Quatre-Nations fut réclamée par Mazarin, dans son testament, en 1661, et financée par un legs de quatre millions de livres.

     

    Image16

     

    A partir de 1663, l'architecte Louis le Vau (1612-1670) déploya, en bordure de Seine, une somptueuse façade courbe flanquée de deux pavillons décorés de pots-à-feu.

     

    Image17

     

    Le bâtiment était destiné à accueillir soixante gentilshommes originaires des quatre provinces récemment annexées à la France, soit l'Alsace, l'Artois, le Roussillon et le Comté de Pignerol en Italie.

     

    Image18

    La Galerie du bord de l'eau, le Pont-Neuf et le Collège Mazarin en 1689,
    par Sébastien Leclerc. (Gallica).

     

    Image19

     

    En 1670, François d'Orbay (1634-1697) succéda à Le Vau. Il conçut le célèbre dôme circulaire couronné par une élégante lanterne.

     

    Image20

     

    En 1805, Napoléon y transféra l'Institut de France et ses cinq académies, dont la plus célèbre demeure l'Académie Française. La coupole, intérieurement de forme elliptique, abrite la salle où se réunissent les Sages.

     

    Image21

     

    Les cinq académies sont l'Académie Française, l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, l'Académie des Sciences, l'Académie des Beaux-Arts et l'Académie des Sciences Morales et Politiques.

     

    Image22

     

    L'Institut abrite l'extraordinaire Bibliothèque Mazarine et, sous le dôme, la chapelle où trône le Tombeau de Mazarin, sculpté par Antoine Coysevox (1640-1720), Étienne le Hongre (1628-1690) et Jean-Baptiste Tuby (1635-1700).

     

    Image23

     

    Image24

    Le charmant angelot tient les armes du Cardinal: le faisceau de licteur d'or lié d'argent et la hache, sans oublier les trois étoiles d'or qui ornent les reliures des ouvrages de la bibliothèque.

     

    Avant la construction du Collège Mazarin, la tour de Nesle s'élevait à l'emplacement de l'actuelle aile est.

     

    Image25

     

    Cette célèbre tour formait l'extrémité de l'enceinte de Philippe-Auguste et marquait l'entrée de Paris pour les bateliers qui remontaient la Seine. Dans l'obscurité, une lanterne, la première de « Lutèce », se balançait au bout d'une potence suspendue tout au sommet.

     

    Image26

    Sur cette gravure d'Israël Silvestre, on aperçoit la porte et la tour de Nesle au XVIIe siècle. A gauche, se dresse l'Hôtel de Nevers sur lequel fut édifié l'Hôtel des Monnaies. (La gravure vient du site du Musée Carnavalet.)

     

    Image27

    Sur celle-ci, la tour fait face à la Galerie du bord de l'eau.

     

    En 1832, dans la pièce intitulée La Tour de Nesle, Alexandre Dumas Père ressuscita le personnage de Marguerite de Bourgogne, la « reine sanglante », emprisonnée pour avoir tué ses amants après des nuits passionnées. Le spectre de cette princesse capétienne, belle-fille de Philippe le Bel, fait revivre les « légendes noires » de Paris...

     

    Mais il est temps de revenir vers le pont des Arts car je voudrais évoquer ce qui est devenu un véritable « phénomène » urbain:

     

    Les cadenas d'amour

    Image28

     

    Que font là tous ces cadenas? Y aurait-il une porte secrète, invisible et truffée de serrures à l'arrière de la balustrade? Le regard aimanté par ces morceaux de métal, je m'approche...

     

    Il semblerait que, depuis l'année 2008, les amoureux de passage aient commencé à accrocher des « cadenas d'amour » ou « lovelocks » aux rambardes du pont. Ils gravent ou marquent au feutre leurs initiales et jettent les clefs dans la Seine ou les dissimulent dans Paris. Cette tradition pourrait être une émanation moderne de rites d'amour médiévaux qui utilisaient des serrures et des clefs.

     

    De mystérieuses disparitions

     

    La majorité des cadenas a été retirée, dans la nuit du 11 au 12 mai 2010, mais les services municipaux de Paris ont toujours démenti en être responsables et le mystère n'a pas encore été résolu.

     

    En juillet 2011, ce sont des pans entiers du grillage qui ont disparu sans attirer l'attention. La municipalité a dû installer de grandes planches de contreplaqué en attendant de fixer de nouveaux parapets ajourés.

     

    Image29

    Un cadenas à l'effigie de Ganesha, le dieu hindou de la sagesse, de l'intelligence,
    de l'illumination, de la richesse ou encore du succès...

     

    Image30

    A côté de ce cadenas ouvragé, on aperçoit des liens de tissu jaune. D'après certaines sources, ils font référence à une tradition en vigueur pendant la première Guerre du Golfe. Les femmes attachaient un morceau de tissu jaune aux grilles d'une fenêtre ou d'un portail en attendant le retour de l'être aimé.

     

    Image31

     

    Cette tradition se répète sur le Pont de l'Archevêché, près de Notre-Dame et sur la Passerelle Léopold Sédar Senghor, face au Musée d'Orsay. J'en ai également photographié sur le Pont Alexandre III.

     

    Image32

     

    On rencontre, dans cette forêt métallique, des morceaux de plastique noués et des feuilles de papier roulé, attachées à des cordelettes ou à des rubans colorés. Certains cadenas sont couverts de messages d'amour et d'amitié.

     

    D'après certains chroniqueurs, cette « pratique rituelle » serait apparue dans les années 1980 en Europe de l'Est et se serait propagée dans le reste de l'Europe au début du nouveau millénaire. D'autres font référence à un roman italien, J'ai envie de toi de Federico Moccia. Le couple de héros accroche un cadenas marqué de leurs noms (luchetti d'amore) sur un lampadaire du Ponte Milvio, près de Rome, avant de lancer la clef dans le Tibre.

     

    La vogue des « cadenas d'amour » ne cesse de s'étendre, sur le Ponte Vecchio à Florence, à Venise, à Vérone, à Moscou sur les rambardes du Pont Luzhkov...

     

    Image33

     

    Au-dessus de l'eau, élément matriciel, les serments se figent et la quête de l'amour éternel se pare de superstition. Les clefs vont rejoindre les profondeurs de l'eau, se mêler à la mort et aux ombres aquatiques, là où le temps suspend sa respiration...

     

    Image34

    Depuis le Pont des Arts, combien de serments et de clefs ont-ils déjà plongé dans le fleuve?

     

    Image35

    Une vision des lieux par Edward Hopper, peintre « réaliste » américain, en 1907.

     

    Grâce à ses balustrades ajourées, le Pont des Arts offre une vue exceptionnelle sur la Seine et sert fréquemment de galerie d'exposition à ciel ouvert. Sa silhouette unique séduit le cinéma français et international, inspire les amoureux, les poètes, les peintres, les parfumeurs... Il permet de contempler la magnificence des quais, le Louvre et l'Institut de France et des monuments emblématiques de Paris comme la « tour clocher de l'église Saint-Germain l'Auxerrois. »

     

    Image36

    Il s'agit en réalité du beffroi néo-gothique de la Mairie du premier arrondissement, attenante à l'église. Ce beffroi, édifié en 1860 par Théodore Ballu, est doté d'un magnifique carillon.

     

    Que vous soyez d'humeur romantique ou dilettante, épris de rêverie ou juste de passage, ne manquez pas, si l'occasion se présente, d'apprécier l'atmosphère si « spéciale » qui émane de ce pont, entre deux mondes et à la croisée de mille sensibilités...

     

    Comme une île perdue
    dans un grand cimetière
    où tremblent suspendus
    des soleils éphémères
                   -----
    Comme un rêve blessé
    qui refuse l'enfer
    et se met à danser
    dans le sang de l'hiver
                   -----
    Les bateaux creusent l'onde
    en liens imaginaires
    sous les berges profondes
    aux âmes nourricières
                   -----
    Je les sens chuchoter
    sur le pont des mystères
    où nos coeurs mélangés
    dévorent la lumière...

    Cendrine

    Pont des Arts, 27 février 2012...

     

    Une chanson ?

     

     

     

    Sources et Bibliographie

     

    Charles DUPLOMB: Histoire générale des ponts de Paris. 1911.

     

    Théophile LAVALLÉE: Histoire de Paris: depuis le temps des Gaulois jusqu'en 1850.Hetzel, 1852.

     

    Aubin L. MILLIN: Dictionnaire des beaux-arts. 1838.

     

    Gustave PESSARD: Nouveau dictionnaire historique de Paris.Lejay, 1904.

     

    L M TISSERAND: Topographie historique du Vieux Paris. Imprimerie impériale, 1866.

     

    Émission « Sur le Pont des Arts » de Marianne Durand-Lacaze.

     

    Image37

     

    Plume4

    Partager via Gmail Delicious Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks Pin It

    99 commentaires
  • Image1

     

    Je vous invite à découvrir, dans le 7e arrondissement de Paris, la rue Cler, semi-piétonne, charmante et chargée d'histoire. Insérée dans ce qu'on appelait autrefois « le bourg du Gros-Caillou », elle est bordée, sur sa moitié, par des commerces et des restaurants et rencontre la rue du Champ-de-Mars, la rue Saint-Dominique et la rue de Grenelle. Elle s'achève, vers le sud, au niveau de l'avenue de la Motte-Picquet.

     

    Image2

     

    Ancienne « rue Neuve-de-l'Église » puis « rue de l'Église », la rue Cler changea de nom en 1864, pour rendre hommage au Général Jean Joseph Gustave Cler (1814-1859), vainqueur de l'Alma et tué à la bataille de Magenta.

     

    Image3

    Le Général Cler

     

    Le Bourg du Gros-Caillou

    Ce quartier fort agréable, à la fois populaire et huppé, se situe à l'ouest du 7e arrondissement. Une de ses originalités est d'avoir conservé, à différents endroits, l'apparence d'un village du XVIIIe siècle. Plusieurs rues ont gardé leur nom et leur tracé d'avant la Révolution et leur ancien pavement a été préservé.

     

    Image4

    La partie piétonne de la rue Cler, un samedi à la fin du marché.

     

    Image5

    La partie ouverte aux voitures, qui conduit à la rue Saint-Dominique
    et à l'église Saint-Pierre-du-Gros-Caillou.

     

    Image6

    La rue Cler vers 1900

     

    Jusqu'au milieu du XVIIe siècle, une « garenne verdoyante » (garanella: grenelle) s'étendait à l'emplacement du quartier actuel. Elle était couverte de vignes et de prés, de vergers et de potagers. On y chassait la caille et le lièvre.

     

    L'abbaye de Saint-Germain-des-Prés et l'abbaye de Sainte-Geneviève se partageaient la jouissance de cet espace luxuriant. La rue de Grenelle était appelée le « grand chemin des Vaches » et la rue Saint-Dominique, « rue aux Vaches » car les vaches du Faubourg Saint-Germain la remontaient pour aller paître dans le Pré aux Clercs.

     

    L'église Saint-Pierre-du-Gros-Caillou se dresse au croisement des rues Cler et Saint-Dominique près de l'endroit où jadis, un gros caillou marquait la limite entre les terres des deux abbayes.

     

    Image7

    Cette église, conçue par l'architecte néo-classique Étienne-Hippolyte Godde (1781-1869), prend la forme d'une basilique romaine. Elle est précédée d'un péristyle dorique. Dans le fronton, une inscription latine fait référence à l'apôtre Pierre et à la pierre de bornage.

     

    Ce « Gros-Caillou » était un énorme bloc alluvial qui servait de point de repère dans le paysage et délimitait la frontière entre les abbayes établies sur la plaine de Grenelle. D'après le géographe Charles Pomerol, le caillou aurait été détruit, avec des explosifs, en 1738 mais le nom de l'église a perpétué son souvenir.

     

    De nombreux artisans s'établirent dans le quartier lorsque Louis XIV décida la construction de l'Hôtel des Invalides pour y loger les vétérans de l'armée. Des lavandières affluèrent pour blanchir le linge des anciens soldats. Elles exerçaient leur activité dans des blanchisseries flottantes, les bateaux-lavoirs. Sous l'impulsion des habitants du bourg, une église fut édifiée à partir de 1738, à l'extrémité de la rue Cler mais le bâtiment devint rapidement trop petit. L'édifice actuel fut construit, en majeure partie, entre 1822 et 1829.

     

    Image8

     

    Le bourg connut donc un formidable essor grâce à la proximité des Invalides. Entre 1786 et 1858, une pompe à feu monumentale,créée par les frères Périer, alimenta en eau le quartier du Gros-Caillou, l'École Militaire, les Invalides et le faubourg Saint-Germain.

     

    Image9

     

    A la fin du XVIIIe siècle, les « pompes à feu » remplacèrent les « pompes hydrauliques », du type de celle de la Samaritaine (mise en service sur le Pont-Neuf en 1608 à l'initiative d'Henri IV et du duc de Sully).

     

    Image10

    Vue de la « pompe à feu de Chaillot », prise depuis le Gros-Caillou. Le dessin est de Jean-Baptiste Lallemand. Source: Gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France.

     

    La première pompe à feu fut installée à Chaillot, sur la rive droite, en 1781. En 1788, la pompe du Gros-Caillou fut mise en place sur la rive gauche (Quai d'Orsay).

     

    Image11

    La tour que l'on aperçoit mesurait 35 mètres de hauteur. Elle contenait un réservoir géant et desservait les différents quartiers grâce à d'imposantes machines à vapeur, fabriquées en Angleterre. Elle fut abandonnée en 1851.

     

    Le port du Gros-Caillou fut aménagé pour transporter les matériaux nécessaires à la construction des Invalides. Il ne cessa de se développer, de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XIXe siècle. Anecdote intéressante, une école de natation fut créée, dans le port, en 1822. La première école de natation fut fondée à Paris, en 1785, par le sieur Turquin, l'inventeur des Bains Chinois (des cabinets de bains réputés hygiéniques) et le créateur de la première piscine (Piscine Deligny), en 1801, le long des berges du Quai d'Orsay.

     

    Image12

    En 1810, une manufacture de tabac fut implantée sur une vaste parcelle de terrain située dans la partie nord du bourg. Cette gravure, qui provient du site de la BNF, est de Joris Minne d'après une illustration de A. Jahandier.

     

    Image13

    Manufacture des Tabacs, 1905. Photographie de Jean-Eugène Durand, trouvée sur le site culture.gouv.fr.

     

    Là où la rue Cler rencontre la rue de Grenelle, au numéro 23, s'élève un beau bâtiment, construit en 1911 et occupé aujourd'hui par le Café Roussillon. J'ai eu beau chercher, je n'ai pas trouvé le nom de l'architecte.

     

    Image14

    Le décor forme, autour des fenêtres, une peau luxuriante, composée d'ombellifères soutenues par des figures de femmes et d'enfants.

     

    Image15

     

    Image16

    Les tiges drues et les fleurs délicates dessinent une rêveuse broderie.

     

    Image17

     

    Image18

     

    Image19

    Les fleurs soulignent les courbes de l'architecture, épousent les lignes structurelles. Dans la lumière se dévoile une forêt enchantée.

     

    Le motif des ombellifères est récurrent dans l'Art Nouveau mais on le rencontre plus souvent sur les vases et les ouvrages de marqueterie que dans l'architecture.

     

    Image20

    Aquarelle « Ombellifères » de l'atelier d'Émile Gallé, trouvée sur le site du Musée d'Orsay.

     

     

    Image21

    La porte d'entrée est décorée d'un magnifique motif
    en fer forgé qui reprend le thème de l'ombelle.

     

    Image22

     

    Image23

     

    Après cette halte poétique, il suffit de traverser la rue de Grenelle pour s'engager dans la partie piétonne de la rue Cler.

     

    Un florilège de boutiques

     

    Je tiens à préciser que je ne suis « sponsorisée » par aucune marque. De nombreux commerces de la rue Cler appartiennent à « l'histoire gourmande » de Paris, aussi ai-je jugé intéressant de leur consacrer une petite étude. Les boutiques plus récentes ne sont pas moins intéressantes car plusieurs d'entre elles proposent des produits naturels qui répondent à une exigence de qualité.

     

    Image24

     

    Dans ce temple consacré aux produits de la ruche, les gourmands trouveront sûrement leur bonheur. Gelée royale, miels, propolis, cires, élixirs, produits de soins et de bien-être, l'éventail des saveurs est particulièrement étendu.

     

    Image25

     

    Cette « maison de chocolat » fut fondée en 1761, au numéro 35 de la rue du Faubourg-Montmartre, par Pierre-Jean Bernard, un jeune épicier.

     

    Image26

     

    En 1791, son beau-fils, Jean-Marie Bridault, héritier d'une importante famille d'épiciers de la rue Saint-Antoine, lui succéda.

     

    A partir de 1807, Marie Adélaïde Bridault, surnommée « la Mère de Famille », fit connaître un âge d'or à la boutique. Grâce à elle, la renommée de l'établissement ne cessa de grandir au-delà du faubourg.

     

    Le célèbre critique gastronomique Alexandre Grimod de la Reynière loua ses vertus dans son Almanach des Gourmands. Cette publicité enflammée fit affluer les clients.

     

    Au milieu du XIXe siècle, les confiseries se multiplièrent, avec l'essor croissant du sucre de betterave.

     

    A partir de 1895, Georges Lecoeur, le nouveau propriétaire, modernisa la boutique (installation du téléphone, édition de brochures de luxe, distribution de publicités...). Dans le contexte virevoltant de la Belle-Époque, « A la Mère de Famille » devint une véritable institution, plébiscitée entre autres par les danseuses des Folies Bergère!

     

    En 1906, à l'Exposition Culinaire Universelle de Paris, les délicates confitures, les chocolats surfins et les bonbons aux fleurs obtinrent un franc succès.

     

    Tout au long du XXe siècle, les héritiers directs ou spirituels de la famille Bridault et de Georges Lecoeur ont pris soin de proposer aux gourmands une gamme étendue de produits. Après la première guerre mondiale, Régis Dreux et, à partir des années 1950, Suzanne Bretonneau ont marqué les lieux de leur empreinte. Entre 1985 et aujourd'hui, des grands noms de l'art chocolatier et des connaisseurs émérites se sont succédés aux commandes de l'établissement: Serge Neveu, la famille Dolfi et le créateur Julien Merceron.

     

    Image27

    L'amour en cage: une dentelle voluptueuse et chic
    qui laisse entrevoir une perle rouge comme la passion...

     

    Image28

    Des boîtes à trésors...

     

    Plusieurs boutiques perpétuent, aux quatre coins de Paris, le savoir-faire initial de la maison mère. Ne manquez surtout pas de les visiter, à commencer par la boutique du Faubourg-Montmartre, au charme suranné. En 1984, sa superbe devanture verte, rehaussée de lettres d'or, fut inscrite à l'Inventaire des Monuments Historiques. A l'intérieur, sur des comptoirs en bois patiné, se dévoilent chocolats variés, calissons, caramels, guimauves, berlingots, nougats, fruits confits, marrons glacés, florentins, bêtises de Cambrai... Comment y résister?

     

    Image29

     

    Ces « divines gourmandises » ont inspiré un très beau livre de recettes. Afin d'en connaître les détails, je vous invite à consulter cet article, sur le blog Grelinette et Cassolettes. Je voudrais en profiter pour saluer Isa-Marie qui m'a donné envie d'écrire au sujet de la rue Cler et de ses délices.

     

    Image30

    Une superbe vitrine aux couleurs de la Saint-Valentin.

     

    Image31

    Dans un cadre sobre et élégant, les roses éclatent en bulles de couleur
    parmi le zinc patiné et le bois brun.

     

    Image32

    Les roses et les orchidées sont les reines des lieux. On y découvre aussi des gourmandises à base de rose: pétales cristallisés, liqueurs, pâtes de fleurs, confitures, gelées...

     

    Image33

     

    Image34

    La charcuterie Davoli est installée dans la rue Cler depuis 1962. L'histoire de cette trattoria renommée a commencé en 1905. Vous y trouverez, entre autres, des jambons au charme « graphique » indéniable, un délicieux vinaigre balsamique, du riz Carnaroli idéal pour réussir de succulents risottos, des pâtes fraîches et un savoureux pain d'épices.

     

    Image35

    Depuis 1937, Jeusselin est l'un des meilleurs charcutiers-traiteurs de Paris, plébiscité pour ses succulents foies gras. Il a reçu plusieurs fois la Médaille d'Or.

     

    Image36

    Le fromager affineur Cantin, une tradition de « merveilles » crémeuses et millésimées...

     

    Image37

    Le repaire de Bacchuset ses divins élixirs...

     

    Image38

    Depuis 1954, les glaces Berthillon ont fait la réputation d'une famille, sise en l'île Saint-Louis, et régalé une infinité de papilles... Dans cette avenante boutique de la rive gauche, tout concorde à l'émulsion des saveurs.

     

    Image39

    Amorino, une qualité qui se fonde, depuis 2002, sur des ingrédients biologiques et des méthodes de fabrication les plus naturelles possibles. Le petit Cupidon de l'enseigne nous promet d'inénarrables plaisirs...

     

    Image40

    Après les plaisirs culinaires, les gourmandises littéraires...

     

    Le Passage de la Vierge

     

    Image41

    Cet endroit, qui ne paye pas de mine, se révèle, à bien des égards, fort intéressant. Il commence, au numéro 54 de la rue Cler et se termine au numéro 75 de l'avenue Bosquet.

     

    Image42

    Il aboutissait autrefois dans la rue de la Vierge et permettait de rejoindre la Chapelle de la Vierge, édifiée en 1737, là où se dresse aujourd'hui l'église Saint-Pierre du Gros-Caillou.

     

    Image43

    La chapelle fut inaugurée le 11 août 1738, sous le vocable de « Notre-Dame de Bonne Délivrance ». De nombreuses dévotions à Marie se déroulaient dans l'ensemble du bourg et à travers le passage.

     

    Image44

     

    Image45

    Jusque dans les années 1970, on trouvait au numéro 6 un établissement de bains publics. On y dispense aujourd'hui des cours de yoga.

     

    Image46

    Un petit air de campagne dans Paris avec cette intéressante maison de famille.

     

    Image47

     

    Au numéro 5, une enseigne représente une clef, l'emblème de Saint-Pierre mais aussi du dieu Janus, le dieu romain au double visage, qui a le pouvoir d'ouvrir et de fermer les portes de l'année.

     

    Symbole de connaissance, gardienne des trésors et des secrets, la clef représente, dans l'héraldique, la confiance et la fidélité.

     

    Image48

    Au milieu du passage, une vierge semble régner sur un mystérieux capharnaüm, à côté d'un tableau que j'ai toujours beaucoup aimé: l'Angélus de Jean-François Millet (1814-1875).

     

    Image49

    J'ai reconnu cette oeuvre avec émotion...

     

    Cette huile sur toile, peinte entre 1857 et 1859, nous émeut par sa force et sa simplicité. Un homme et une femme, dont les silhouettes se découpent sur une plaine immense, ont laissé leurs outils agricoles et leur récolte de pommes de terre pour réciter l'angélus (une prière qui rappelle la salutation de l'Ange à la Vierge pendant l'Annonciation).

     

    Au-delà d'une oeuvre religieuse, c'est un hommage au monde paysan, à ses codes et à ses rythmes, que nous offre Millet. L'ombre et la lumière fusionnent dans une douce alchimie qui s'ancre autour du thème du recueillement.

     

    Image50

    L'entrée du passage, du côté de l'avenue Bosquet.

     

    image51

    Notre-Dame de Bonne Délivrance veille sur le bourg du Gros-Caillou...

     

    J'espère vous avoir donné envie de vous promener dans la rue Cler, à la rencontre de son passé et d'explorer son patrimoine culinaire. Au carrefour de l'histoire et de la bonne chère, le quartier du Gros-Caillou regorge de possibilités. Je ne manquerai pas de les étudier, au fil du temps. Mais en attendant, les personnes intéressées pourront lire ici mon article consacré à la Fontaine de Mars, dans la rue Saint-Dominique, toute proche.

     

    Excellente « dégustation »!

     

    Bibliographie

     

    Antoine-Nicolas BÉRAUD et Pierre-Joseph-Spiridion DUFEY: Dictionnaire historique de Paris.Paris: J.-N. Barba, 1828.

     

    Jacques-Antoine DULAURE: Histoire physique, civile et morale de Paris. 1839.

     

    Pierre-Thomas NICOLAS et Magny HURTAUT: Dictionnaire historique de la ville de Paris et de ses environs. 1779.

    Charles POMEROL: Histoire géologique de Paris à travers les noms de rues. Paris: Masson, 1979.

     

    Plume4

    Partager via Gmail Delicious Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks Pin It

    98 commentaires
  • Image1

    La guirlande des amours


    Chaque année, à la mi-février, des rites d'amour et de très anciennes croyances fleurissent pour annoncer le réveil de la Nature, après les sombres nuits d'hiver. Dans ce contexte, le 14 février est célébré sous le patronage de Valentin, le saint des « fiancés, des jeunes filles et des garçons à marier » mais, malgré son importante popularité, le personnage se pare d'une aura de mystère.

    La légende de Saint-Valentin
    Plusieurs « Valentin » sont fêtés le 14 février, en France et dans d'autres pays, ce qui n'a pas manqué d'attirer l'attention des mythologues et des historiens. Une telle mise en lumière ayant généralement pour effet de « camoufler » un substrat de divinités pré-chrétiennes.

    Image2

    La brouette d'amour


    La légende de Saint-Valentin naquit sous le règne de l'empereur Claude II, dit le Gothique (214-270). En proie à certaines difficultés pour constituer ses légions, Claude fit interdire, en l'an 268, les fiançailles et les mariages sur l'ensemble du territoire qu'il dominait mais un prêtre nommé Valentin choisit de braver ses ordres et d'unir secrètement les jeunes couples. L'empereur le fit arrêter et condamner à mort par décapitation.

    Dans sa prison, Valentin rencontra Augustine, la fille de son geôlier, une jeune aveugle à qui il rendit la vue, grâce à des prières. Elle prit soin de lui et il lui adressa, avant son exécution, une lettre qu'il aurait signée « Ton Valentin ».

    Dans la Légende Dorée de Jacques de Voragine, Valentin fut emprisonné pour avoir refusé de se prosterner devant les divinités de Rome. Il s'éprit de la fille de l'empereur Claude, une jeune aveugle qu'il s'efforça de guérir. L'empereur promit de se convertir si l'issue était heureuse mais Valentin subit tout de même le martyre. Il laissa à la demoiselle de son coeur un billet doux qui devint une « valentine ».


    Les Lupercales romaines

    Cette belle et tragique histoire a été façonnée dans un but politique et religieux, celui de « gommer » le souvenir érotique des Lupercales, fêtes de la fertilité célébrées jadis à Rome, le 15 février.

    Les prêtres de Lupercus, le dieu loup de la fécondité, couraient dans la ville, vêtus de peaux de chèvre. Ils fouettaient, avec des lanières en cuir de chèvre, les femmes qui croisaient leur chemin, afin de stimuler leur pouvoir de fertilité. La course sauvage des Luperques avait pour but de purifier la cité, d'éloigner les démons et les épidémies et de repousser les êtres atteints de lycanthropie.

    Lupercus était le protecteur des animaux à cornes, des troupeaux et des futures récoltes. On organisait en son nom une « loterie d'amour ». Les jeunes hommes tiraient au sort le nom de la jeune fille qui deviendrait leur « compagne des festivités » et sur laquelle ils veilleraient, l'espace d'une année.

    En l'an 496, le pape Gélase Ier décida de contrer les survivances des Lupercales en instituant la Saint-Valentin. La fête romaine, tissée de coutumes païennes, disparut au profit de célébrations plus « convenables » mais il fallut attendre la fin du XVe siècle pour que, sur l'initiative du pape Alexandre VI, Valentin devienne le patron officiel des amoureux.


    Les amours des oiseaux

    Image3
    La Saint-Valentin est associée aux parades nuptiales des oiseaux qui commencent à s'accoupler et sont considérés comme les messagers du printemps. Au cours de leurs voltes amoureuses, ils se livrent à des jeux mêlés de chants qui stimulent l'éveil des puissances naturelles.

    Ils accompagnaient dans l'Antiquité les Gamélies athéniennes, célébrations rituelles des noces de Zeus et d'Héra qui se déroulaient de la mi-janvier à la mi-février. On offrait à la déesse des oiseaux sacrés, d'un blanc immaculé, tandis que les fiancés échangeaient des voeux d'amour en buvant du vin dans des coupes en forme d'oiseaux.

    L'image des oiseaux a souvent été utilisée de manière symbolique pour représenter les élans de l'amour. Le verbe « oiseler », très employé au XVIIIe siècle, signifie d'ailleurs « faire l'amour ».


    Charles d'Orléans, le chantre de l'amour

    La tradition d'écrire des cartes de Saint-Valentin est étroitement liée à ce prince de France, neveu du roi Charles VI, qui naquit en 1394 et mourut en 1465. Charles Ier d'Orléans était le fils de Louis Ier, duc d'Orléans et de Valentine Visconti, fille du puissant duc de Milan, Jean Galéas Visconti.

    Image4

    Fait prisonnier à la bataille d'Azincourt, le 25 octobre 1415, il fut emmené en Angleterre et retenu captif à la Tour de Londres pendant 25 années. Il sublima sa souffrance grâce à l'écriture de chansons, de ballades, de complaintes et de rondeaux. Il composa aussi des poésies en langue anglaise.

    Le thème de l'absence, la cruelle solitude alors que les oiseaux « apportent » le printemps, l'espoir qui veut survivre et l'amour ardent nous offrent un chant sublime, mêlé de fièvre et de noirceur. Le coeur à vif, le poète nous entraîne, avec les rougeoiements de sa plume, dans le cycle implacable et grandiose des saisons.

    Le beau soleil, le jour Saint-Valentin

    Le beau soleil, le jour Saint-Valentin,
    Qui apportait sa chandelle allumée,
    N'a pas longtemps entra un bien matin
    Privéement en ma chambre fermée.
    Cette clarté qu'il avait apportée,
    Si m'éveilla du somme de Souci
    Ou j'avais toute la nuit dormi
    Sur le dur lit d'ennuyeuse pensée.

    Ce jour aussi, pour partir leur butin
    Les biens d'Amours, faisaient assemblée
    Tous les oiseaux qui, parlant leur latin,
    Criaient fort, demandant la livrée
    Que Nature leur avait ordonnée
    C'était d'un pair (1) comme chacun choisi
    Si ne me peux rendormir, pour leur cri,
    Sur le dur lit d'ennuyeuse pensée.

    Lors en mouillant de larmes mon coussin
    Je regrettai ma dure destinée,
    Disant: « Oiseaux, je vous vois en chemin
    De tout plaisir et joie désirée.
    Chacun de vous a pair qui lui agrée,
    Et point n'en ai, car Mort, qui m'a trahi,
    A pris mon pair dont en deuil je languis
    Sur le dur lit d'ennuyeuse pensée. »

    Envoi:

    Saint-Valentin choisissent cette année
    Ceux et celles de l'amoureux parti
    Seul me tiendrai de confort dégarni
    Sur le dur lit d'ennuyeuse pensée

    (1): « Pair » signifie compagne ou compagnon en français médiéval. Formé sur la même racine que le mot anglais « partner », il s'écrit aussi « per ».

    Charles d'Orléans écrivit le rondel suivant pour sa jeune belle-soeur, Marguerite de Rohan.

    « A ce jour de Saint-Valentin
    Puis qu'êtes mon pair cette année,
    De bien heureuse destinée,
    Puissions-nous partir le butin!

    Menez à beau frère hutin
    Tant qu'ayez la pense levée
    A ce jour de Saint-Valentin. »

    Il rapporta la coutume de la Saint-Valentin en Touraine après sa libération d'Angleterre, en 1441, et la tradition des messages d'amour se répandit ensuite dans le reste du royaume et dans les cours européennes.


    La vogue des « Valentines »

    Image5

    La courte échelle


    Au XVe siècle, il était d'usage de faire parvenir à sa bien aimée des messages d'amour afin de célébrer le retour du printemps mais il fallut attendre le XVIe siècle pour que les lettres d'amour soient joliment qualifiées de « valentines ».

    Au XVIIIe siècle, on trouvait, dans toute l'Europe, de superbes valentines, décorées de coeurs, de roses et de Cupidons.

    A l'époque victorienne (1840-1860), en Angleterre, elles se parèrent d'un décor très subtil et gracieux. Délicatement parfumées, elles furent agrémentées de petits ornements de soie, de dentelle, de plumes, de rubans, de fleurs fraîches ou séchées. Image6

    Esther Allen Howland (1828-1904), la fille d'un célèbre papetier américain, lança, vers 1850, la production en série des cartes de Saint-Valentin. Image7

    L'échelle d'amour


    La chromolithographie, procédé d'impression en couleurs mis au point par le lithographe Godefroy Engelmann (1788-1839) en 1837, contribua également, tout au long du XIXe siècle, à la diffusion des images de la Saint-Valentin.

     

    Supertistions et coutumes de la Saint-Valentin
     

    Dans la France et l'Angleterre des XIVe et des XVe siècles, les jeunes filles choisissaient leur « Valentin », un cavalier courtois qui leur offrait des cadeaux et leur dispensait de galantes attentions.

    Le « Valentin » accompagnait sa « Valentine » à la fête des Brandons, le premier dimanche de Carême. Les futurs couples échangeaient des présents et des baisers autour d'un grand feu puis le « Valentin » allait « brandonner » à travers les champs et les vignes. Par ce geste à caractère magique, (il brandissait un bâton autour duquel crépitait un brin de paille enflammé), il voulait stimuler la croissance des futures récoltes et attirer la prospérité sur les champs et les familles.

    Afin de voir en rêve leur futur amoureux, les jeunes filles cueillaient, après les douze coups de Minuit, le 14 février, cinq feuilles de laurier. Elles en épinglaient une à chaque extrémité de leur oreiller et plaçaient la cinquième au milieu. Puis elles récitaient sept fois la prière suivante avant de s'endormir: « Ô grand Saint-Valentin, protecteur de ceux qui s' aiment, fais que je puisse voir en mon dormant celui qui sera un ami fidèle et un merveilleux amant ».

    Une vieille coutume préconise de porter des crocus jaunes dans les cheveux au lever du soleil pour attirer l'époux de ses rêves.

    Un autre rituel d'amour consistait à frotter doucement la surface d'un miroir avec un tissu rouge avant d'ouvrir la fenêtre et d'allumer deux chandelles rouges. On étudiait ensuite les formes qui se dessinaient à la surface du miroir, les taches de lumière, les cristallisations et les effets de givre, afin de connaître les secrets d'un futur époux.

    Pendant des siècles, dans le Kent, en Angleterre, les jeunes filles fabriquaient un « homme de houx » et les jeunes hommes une « demoiselle de lierre ». Ce couple végétal était promené dans les rues et symboliquement marié avant d'être brûlé, avec les cadeaux de sa dot. Les cendres recueillies étaient répandues dans les champs pour stimuler la croissance des jeunes pousses.

    A Anvers, en Belgique, les jeunes filles recevaient de la part de leurs admirateurs des effigies du Greef, un personnage en speculoos ou en massepain. Le nombre de figurines à croquer qu'elles obtenaient était proportionnel à l'affection qu'on leur portait.

      Image8

    1905


    La divination par les oiseaux

    Oracles de l'amour et du printemps, médiateurs entre les hommes et les esprits de la Nature, les oiseaux sont dotés de capacités surnaturelles, au moment de la Saint-Valentin. Ils dévoilent dans les rêves des renseignements précieux sur la future épouse ou le futur mari. Ils font croître les bourgeons en battant des ailes. La tradition préconise de faire un voeu, en tenant une plume ramassée quelques instants après le lever du soleil.

    Le rouge-gorge qui sautille dans la rosée ou qui agite un brin d'herbe évoque un mariage avec un voyageur ou un marin.

    La présence d'un moineau au petit jour près de la chambre augure d'un mariage d'amour.

    Le chardonneret signale à la jeune fille qui l'aperçoit qu'elle fera la connaissance d'un riche parti.

    Un vol de cygnes présage d'un mariage heureux mais un merle posé sur l'appui de la fenêtre annonce la venue d'un beau parleur.

    Deux colombes qui s'embrassent sous le gage d'une union prospère et sans nuages.

    La vue d'une mésange signifie que les époux auront de nombreux enfants.


    Les symboles de la Saint-Valentin
      Image9

    (Carte de 1910)


    Le coeur, siège de l'amour, de la vie et de l'âme, organe des fluides et de la circulation sanguine, est le motif magique par excellence...

    Le coeur percé d'une flèche évoque l'amour et la passion mais se présente aussi comme un symbole protecteur contre les dangers et les maléfices.

      Image10

    Chromolithographie ancienne de roses, 1894, par Francis Dubreuil et Madame Laurent Simons,
    trouvée sur le très joli site " roses anciennes en France.org "



    La rose rouge est un emblème de désir et de passion mais aussi un gage d'amour et de fidélité. La rose rose évoque la délicatesse des sentiments.   Image11

    Cupidon

    Image12

    (Fresque d'Annibal Carrache, au Palais Farnèse, 1595-1597).



    Incarnation antique de l'amour et du désir, Amour ou Cupidon, Eros en grec, est le fils d'Aphrodite, la déesse de l'amour et d'Arès, le dieu de la guerre. Cabotin, joueur, imprévisible et capricieux, il transperce les coeurs avec des flèches d'or ou d'argent. Son pouvoir est incommensurable. Il peut susciter l'amour aussi bien chez les hommes que chez les dieux.

    De son union avec la belle Psyché, est née une fille qui  se nomme Volupté.
      Image13

    Amour et Psyché, par Antonio Canova, 1793.

     


    Les pouvoirs de Valentin

    Saint patron des amoureux, Valentin est aussi très intéressant par les pouvoirs qui lui sont attribués dans le folklore de France et d'Europe.

    Tel un Cupidon, il s'efforce d'unir les amants mais il veille ensuite à la bonne santé du couple. On l'invoque pour fortifier le coeur, apaiser les tourments physiques et moraux, les rhumatismes, les douleurs récurrentes, faire tomber la fièvre, purifier le sang. En Belgique, il est considéré comme un protecteur contre les blessures et les hernies.

    Dans la région d'Hurtigheim, en Alsace, on trouve dans certaines chapelles des statuettes de Saint-Valentin, réputées apaiser les rhumatismes. Les personnes souffrantes offrent au saint une poule noire.

    Depuis fort longtemps, Valentin est le protecteur des nourrissons contre la mort subite. Il repousse les maladies qui touchent les animaux, détruit la vermine et garde les cultures contre les caprices de la météorologie.

    Il repousse la sècheresse et règne sur le vent comme en témoigne un vieux dicton du Centre de la France:

    « Jour de Saint-Valentin
    Vent au moulin ».

    Dans le vieux Nice, on avait coutume de dire:

    « Danse à la Saint-Valentin
    Soleil sur le chemin ».

    Comme le fait remarquer Philippe Walter dans son passionnant ouvrage intitulé Mythologie chrétienne, Fêtes, rites et mythes du Moyen Âge, Valentin est un saint très mystérieux, fêté à la période du Carnaval et entretenant avec celle-ci des rapports très étroits. Il se présente comme la forme christianisée d'une vieille divinité pré-chrétienne « possédant la syllabe val dans son nom ou son surnom ». P.88. Sa décapitation s'inscrit, à l'instar de celle des géants de Carnaval, dans un cycle solaire et cosmique de mort et de renaissance.


    Un village nommé Saint-Valentin

    Au coeur du Berry, les « traditions valentines » ont fait renaître de ses cendres un charmant village, considéré, depuis plusieurs décennies, comme le fief des amoureux. La fête de la Saint-Valentin étant très appréciées au Japon, un jumelage a eu lieu entre le village français et le temple bouddhiste de Sakuto-Cho, en octobre 1997.

    De nombreux couples viennent s'y marier et poser devant « le kiosque des amoureux » , érigé, par les Compagnons du Tour de France, en hommage à l'illustrateur Raymond Peynet.

    Près de l'arbre-à-voeux, les visiteurs suspendent des feuilles en forme de coeur gravées de leurs noms, dans de grandes structures arborescentes de métal.

    L'emblème de la commune est le « coeur saignant », de ravissantes fleurs bicolores qui dessinent des coeurs roses ornés d'une sorte de plumet blanc.
      Image14

    Les « Amoureux » de Peynet

      Image15

    Raymond Peynet (1908-1999) apprit les techniques du dessin publicitaire à l'École des Arts Appliqués à l'Industrie. Son diplôme lui fut remis par un des frères Lumière.

    Avec humour et sensibilité, il réalisa des étiquettes de parfums, des affiches, des encarts publicitaires, des dessins de presse et des décors de théâtre (notamment ceux du théâtre de la Huchette, dans le quartier Saint-Michel) mais il connut une célébrité mondiale avec ses « Amoureux », dédiés à son épouse et muse au nom prédestiné, Denise Damour.

      Image16

    Ces personnages délicats, nés sous le kiosque à musique de Valence, dans la Drôme, ont séduit un public considérable, à travers une profusion de livres et d'objets (écharpes, porcelaines fines, médailles, poupées, statues...). En 1942, Raymond Peynet écrivit à leur sujet: « Assis sur un banc, j'ai dessiné le kiosque qui se trouvait devant moi, avec un petit violoniste qui jouait tout seul sous l'estrade et une petite femme qui l'écoutait et l'attendait. On voyait aussi les musiciens qui, ayant rangé leurs instruments dans leurs étuis, s'en allaient dans le parc de Valence ».

      Image17
    Image18

    Les Amoureux aux colombes



    Les Amoureux ont traversé le temps sans prendre une ride. Depuis l'époque de leur publication par Max Favalelli, dans le périodique Ric et Rac, leurs vêtements se sont adaptés aux évolutions de la mode et à la ronde des saisons. Ils sont accompagnés de symboles d'amour incontournables: le coeur, les roses, les angelots et les oiseaux.

    Ils ont inspiré des chansons comme « Les bancs publics », créée par Georges Brassens et « Les amoureux de papier », composée par Charles Aznavour et chantée par Marcel Amont.

    Une de leurs statues se dresse à Hiroshima, au Japon, face au Mémorial de la Bombe Atomique.

      Image19

    Peynet peignit aussi des tissus et décora des ouvrages de Jean Anouilh, d'Alfred de Musset et d'Eugène Labiche, comme Le voyage de Monsieur Perrichon en 1939.

    Une longue tradition de cadeaux

    Dans l'ancienne Europe, à la mi-février, les rituels d'amour étaient accompagnés par des cadeaux: petites sculptures réalisées dans du bois d'arbres fruitiers, couronnes et bracelets de fleurs, coeurs et figurines de cire, moules à gâteaux, chansons, poèmes... A partir de la Renaissance et surtout au XVIIIe siècle, les gants, les bas, les éventails et les rubans décorés de perles, de plumes et de petits bijoux firent fureur. Les bouquets de fleurs, les cartes et le chocolat furent très appréciés à partir du XIXe siècle.

    Chacun est libre de croire que la Saint-Valentin n'est qu'une fête commerciale, peuplée d'ornements kitsch et de babioles sucrées or cette fête s'enracine profondément dans notre folklore et les plus jolies attentions n'ont pas besoin d'être assorties d'une valeur marchande.

    Aux États-Unis, au Canada et au Japon, la Saint-Valentin est l'occasion d'exprimer son amour mais aussi de présenter ses voeux d'amitié. Les écoliers américains fabriquent des cartes qu'ils distribuent à leurs camarades, à leur institutrice, aux membres de leur famille et aux personnes qu'ils apprécient. Ils s'offrent aussi des petits sachets de graines qu'ils sèmeront pour célébrer le retour du printemps.

    Bien loin des lieux communs et du dédain que certains manifestent à son égard, la Saint-Valentin est une broderie de traditions passionnantes et complexes qui ne demandent qu'à être explorées. Aussi je vous souhaite d'agréables moments de partage et de découverte ainsi que les opportunités d'exprimer votre amour, votre fantaisie et votre créativité, pas seulement ce jour mais tout au long de l'année! Joyeuse Saint-Valentin!

    Bibliographie

    Constant BEAUFILS: Étude sur la vie et les poésies de Charles d'Orléans. Paris: A. Durand, 1861.

    Henri DONTENVILLE: Mythologie française. Paris: Payot, 1973.

    Claude GAIGNEBET: Le Carnaval. Paris: Payot, 1974.

    Arnold VAN GENNEP: Manuel de folklore français contemporain. Paris: Picard, 1947.

    Philippe WALTER: Mythologie chrétienne. Paris: Imago, 2003.

    Image20
    « C'est le coeur qui donne naissance à toute connaissance ». (Proverbe de l'Égypte ancienne.)

     

     

    Essai21

    Plume4

    Partager via Gmail Delicious Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks Pin It

    86 commentaires
  • Image1
    Le 23 Janvier 2012, le Lapin de Métal s'en est allé, cédant la place à une figure majeure de la mythologie chinoise, le Dragon d'Eau, seigneur du Zodiaque et des éléments. Avec fantaisie et majesté, il règne, dans ses rutilants atours, sur l'Ancien Monde et rayonne sur le Nouveau.

    Image2
    La Fête du Printemps est célébrée le premier jour du premier mois lunaire. Ses origines remontent à la dynastie Shang (1766-1122 avant J.-C.). Renouvelée, sous l'égide du puissant dragon, elle promet, d'après les croyances asiatiques, prospérité, fécondité, succès et renaissance.

    Le nouvel an chinois évolue chaque année entre le 21 janvier et le 20 février, en raison du calendrier luni-solaire qui se fonde sur une connaissance aiguë des cycles saisonniers. C'est à Nankin, à l'observatoire de la Montagne Pourpre, que l'apparition de la nouvelle lune est déterminée.

    Image3

    Un défilé haut en couleurs

    Le 28 janvier, sur le parvis de l'Hôtel de Ville, les « enfants du Dragon », les amateurs de folklore et de mythologie et les curieux de tous bords s'étaient donné rendez-vous.

    Image4
    Image5

    Ce rose printanier illumine l'atmosphère orageuse du premier samedi de l'année.


    Image6

    Le rouge et l'or, couleurs sacrées, protectrices contre les forces malveillantes.


    Image7

    Les génies de la chance et de la prospérité
    accompagnent avec bonhomie ce festival lunaire.


    Le vert évoque la poussée de l'énergie vitale et le retour du Printemps. Associé à l'Est, au foie et aux muscles, il stimule la bonté et la santé.

    Le jaune est la couleur des vêtements impériaux et de la Terre, l'élément du Centre, symbole de fertilité. Les eaux du fleuve Jaune favorisent le renouveau de la végétation.

    Avec quelques touches de rose, le pouvoir de la Nature s'éveille doucement à travers les fleurs de cerisier.

    Image8

    Une galerie de costumes somptueux
    pour stimuler les forces bienfaisantes de l'année
    et honorer les dieux de la prospérité.


    Image9

    Les Traditions du Nouvel An

    Le passage d'une année à l'autre s'effectue suivant un ensemble de rites associés à la purification et à la protection du foyer.

    Une semaine avant la fête du Printemps, on dit traditionnellement adieu à Zaòwángyé, le dieu du foyer, dont le portrait est affiché dans les cuisines. Ce personnage magique entreprend un long voyage vers l'Empereur de Jade, la divinité suprême du taoïsme, auquel il révèle les bonnes et les mauvaises actions effectuées par chacun. Dans la crainte de son jugement, on lui offre des bonbons et des aliments collants. Pour adoucir ses propos, on applique des gourmandises sur sa bouche et on brûle ses effigies sacrées afin que son énergie s'envole avec la fumée. Quelques jours après, on installe de nouvelles effigies.

    Les habitations sont soigneusement nettoyées et purifiées avec de l'encens. Certaines personnes évitent d'utiliser des ciseaux et des couteaux de crainte de « sectionner » le fil de la bonne fortune.

    Le dernier jour de l'année, on décore les maisons avec des images traditionnelles. Des caractères de chance (duilian), des voeux et des souhaits, tracés sur du papier rouge, sont collés sur les portes.

    Autrefois, on y accrochait les effigies des dieux Shen Tu et Yu Lei, sculptées dans du bois de pêcher.

    Les voeux de Printemps sont des formules poétiques, inscrites sur des bandes de papier que l'on suspend dans les maisons, traditionnellement à l'envers. En effet, le mot « renversé » se lit « tao » en mandarin, comme le mot « arrivé » qui signifie le retour du Printemps et de la prospérité; et le mot « bonheur » se retrouve aussi la tête en bas...

    Image10
    De manière personnelle, il est conseillé de se confronter aux problèmes non résolus de l'année précédente et d'entamer une discussion avec ses ennemis.

     


    Le Réveillon ou banquet familial

    Il se déroule autour d'une succession de plats raffinés. En règle générale, les membres de la famille qui ne peuvent pas se déplacer ont tout de même une place à table. Les aliments sont investis d'une valeur symbolique et procurent, à ceux qui les consomment, bonheur, chance et prospérité.

    On déguste par exemple des raviolis qui ressemblent à des petits lingots dorés, de la carpe qui évoque le « surplus » afin de ne jamais manquer, du canard pour la bonne fortune, des crevettes pour le bonheur, des nouilles pour la longévité, des haricots rouges pour chasser les démons, des sucreries de forme ronde ou ovale pour célébrer l'union de la famille.

    Un poisson servi avec la tête et la queue signifie le début et la fin de l'année.

    On prépare des fa-kao, une sorte de gâteau de riz dont le dessus forme des craquelures. Plus ces dernières sont larges, plus la joie et la richesse sont censées régner dans le foyer. J'ai déjà pu apprécier leur robe croustillante et leur fondant intérieur...

    A la fin du repas, on partage le gâteau du nouvel an (niángāo). Deux couches de pâte de riz gluant enserrent de la pâte de haricot rouge et de sucre de canne complet, parfumée au longane et parfois au thé vert.

    Le longane est le fruit du Dimocarpus longan, un petit arbre à feuilles persistantes, originaire du sud-est de la Chine. Ce délice végétal, qui ressemble un peu au litchi, signifie « oeil de dragon ».

    On offre des mandarines et des oranges qui représentent la richesse, le bonheur et la bonne fortune.

    On honore les ancêtres avec du vin et des gâteaux de farine de riz glutineux, en forme d'animaux, cuits à la vapeur. On échange des souhaits et des cadeaux et on remet aux enfants les fameuses enveloppes rouges (hóng bāo) qui contiennent de l'argent et qui portent bonheur.

    Image11
    Les personnages symboliques, les couleurs et les danses magiques ont pour fonction de repousser le « monstre de l'année ».

    Nian ou Nien était un monstre légendaire qui donna son nom au cercle de l'année. Émanation de l'incréé, du chaos et des abysses nocturnes, il rôdait autour des villages, à l'instar de nos croquemitaines occidentaux. Pendant la « nuit de Nian », les habitants veillaient et allumaient une profusion de flambeaux, lumières vivantes et protectrices.

    Image12
    Créature hybride, dotée d'une tête de lion et d'un corps de taureau, Nian apparaît dans les danses de lions qui neutralisent son pouvoir maléfique.

    Guidé par sa voracité, il surgit de la mer ou de la forêt, il descend des montagnes afin de dévorer les hommes et les animaux mais il ne supporte pas le bruit, la lumière vive et la couleur rouge. Dans les temps anciens, les villageois plaçaient des chiffons écarlates sur les portes pour l'effrayer.

    Les pétards qui retentissent sont censés mettre en déroute ce terrible monstre et les créatures malveillantes qui évoluent dans son sillage. D'après les légendes, le vacarme, les danses serpentines et la couleur rouge ont de puissantes vertus.

    Les premiers pétards étaient réalisés avec des tiges de bambou. Aujourd'hui, ce sont des chaînes de petits pétards rouges appelés « démons » qui sont utilisées.

    Image13
    Émanation du yang, la couleur rouge (hung), règne sur l'été et le sud, à l'opposé du yin, associé au noir, au nord et à l'hiver. Elle est apotropaïque, c'est à dire réputée éloigner les forces négatives. (Le mot « apotropaïque » vient du grec apotropein qui signifie « détourner ».)

    « Au théâtre chinois, le dieu de la guerre a le visage peint en rouge, couleur du sang et des blessures, mais les cartes du nouvel an sont rouges et les pêches rouges sont un présent de mariage car le rouge est aussi la couleur de la joie et de la chance envoyées par les dieux. »
    J. Gernet: Problèmes de la couleur. Bibliothèque générale de l'École Pratique des Hautes Études, VIe Section, Sorbonne, 1957.

    Le rouge est la couleur des noces. La jeune mariée, vêtue de rouge et installée dans un palanquin rouge, est conduite au logis de son époux. Les portes de sa nouvelle maison sont couvertes de laque rouge.

    Les lanternes rouges et dorées sont des symboles de richesse et de félicité.

    Image14

    Des couleurs précieuses sous le ciel de tempête...



    Image15
    Les dragons qui virevoltent apportent la joie, la force et la prospérité. Leurs danses ondoyantes s'enracinent dans le culte des ancêtres, l'hommage aux divinités et la réminiscence du pouvoir impérial. Elles honorent aussi les dieux de la pluie fécondante qui font croître les moissons.

    Les acrobaties du dragon symbolisent la bravoure, la force et la noblesse. Tel un long ruban précieux, il se gorge d'air et tourbillonne parmi les passants émerveillés.

     



    La danse des Lions

    Image16
    Au rythme des cymbales, du gong et du tambour, les lions aux couleurs vives s'ébattent dans des positions qui mélangent la danse et les arts martiaux. Chaque lion est incarné par deux danseurs. Le corps et la queue sont animés par des liens souples alors que la tête est contrôlée par des tiges de bambou. Cette activité requiert une grande force, beaucoup de coordination et de vitalité.

    Image17
    Ces danses soigneusement codifiées sont réputées éloigner les esprits malveillants, attirer la chance et stimuler la fertilité. Elles sont exécutées pendant les mariages, à l'occasion du nouvel an et pour célébrer l'ouverture d'une nouvelle boutique.

    Image18
    Image19

    Au coeur de cette ronde fantastique, un petit garçon accomplit des katas.



    Les festivités du nouvel an s'étendent sur une période d'environ trois semaines, rythmée par des cérémonies grandioses et des moments plus intimes. La phase de préparation, que nous avons étudiée précédemment, le Réveillon et les jours qui suivent sont imprégnés de sagesse et de magie.

     


    Le Premier Jour
    On « salue l'année » en portant des vêtements neufs, de préférence rouges. On ne mange généralement pas de viande afin de purifier son corps et son esprit. On présente ses voeux à la famille et aux amis. On se rend au temple et on honore les tombes des ancêtres. Les effigies des ancêtres et des dieux du foyer sont renouvelées.

    Le Troisième Jour: la visite et les noces des Souris
    D'après une ancienne croyance, comme les souris n'entrent que dans un foyer prospère, on laisse des provisions à leur intention. Quand elles sont repues, elles peuvent célébrer les noces de leurs enfants. Il est donc conseillé d'aller se coucher tôt, ce soir-là, pour ne pas les déranger.

    Le Quatrième Jour: le retour du Dieu du Foyer
    Zaòwángyé revient de son périple à travers les mondes célestes. On lui prépare des offrandes et un savoureux repas.

    Le Cinquième Jour: le retour au travail
    Le cinquième jour marque la reprise du travail et l'échange des voeux entre collègues. Les commerçants commandent des danses de lions. Le dieu de la richesse et ses avatars, les dieux de la fortune, reçoivent des offrandes.

    Pendant les premiers jours de l'année, l'utilisation du balai est fortement déconseillée car les bonnes énergies risqueraient d'être chassées avec la poussière.

    Le Quinzième Jour: la Fête des Lanternes
    Elle vient clore ce festival printanier et célébrer la pleine lune du début de l'année, dotée de grands pouvoirs. Pour les anciens peuples de la Chine, elle dévoilait les esprits qui chevauchent dans les airs. Les lanternes rougeoyantes, ornées de symboles, célèbrent ces entités bienveillantes.

    D'après une vieille légende, le dieu du feu voulait incendier la capitale ce jour-là. Les habitants tentèrent de le convaincre que la ville était dévorée par les flammes. Ils allumèrent pour cela une myriade de lanternes et le dieu fut dupé.

    Image20
    La lumière et les flammes sont reines. Les lanternes de toutes formes (dragon, cheval, phénix, lotus, pivoine, personnages de théâtre, de dessins animés...) et de diverses matières (papier, tissu, plastique...) oscillent dans la nuit. On voit aussi scintiller des lanternes de glace.

    Le plat traditionnel de la fête est la soupe de yuanxiao, des boulettes de pâte de riz farcies de pâte de haricots rouges, de cacao, de cannelle, de sésame, etc, dont la rondeur symbolise l'union et l'harmonie.


    Les Pouvoirs du Dragon


    Image21
    Le dragon chinois est doté d'un long corps serpentin ou anguiliforme, de bois ou de cornes et d'une puissante gueule barbue. Il ne possède pas d'ailes mais la crête qui couronne son crâne lui permet de voler. Avant de revêtir sa forme définitive, il se métamorphose pendant des milliers d'années. Il est une sorte de long poisson mythique et, d'après certains archéologues, son effigie dérive de représentations stylisées d'animaux bien réels, comme des poissons, des serpents et des crocodiles.

    Image22 Animal sacré, à l'instar du Phénix, de la Licorne et de la Tortue, le Dragon permet aux puissances célestes de se manifester auprès des hommes.

    Image23
    L'expression « deng longmen » signifie « franchir la passe du dragon », c'est à dire « réussir sa carrière ».

    Si une carpe parvient à franchir la « porte du dragon », elle se métamorphosera en dragon. La « porte du dragon » est une porte mythique et allégorique symbolisant les efforts déployés pour atteindre son but.

    Image24

    Le Seigneur des métamorphoses
    Créature gorgée de magie, le dragon peut tisser les nuages, se changer en gouttes d'eau et de feu, scintiller dans les ténèbres, devenir invisible, revêtir l'apparence d'autres animaux, prendre une forme humaine ou hybride (comme un corps d'homme et une tête de dragon).

    Le Dragon d'Eau
    Émanation de l'élément yang, le dragon est investi du pouvoir de création et de fécondité mais il est aussi en adéquation avec l'élément yin et les puissances aquatiques. Il est le seigneur des eaux en mouvement, fécondes et jaillissantes, dont il contrôle le pouvoir de vie et de mort.

    Maître du calendrier et de la météorologie, il se love dans les eaux matricielles (rivières, lacs, océans) et règne sur les eaux célestes. Il serpente à travers les nuages et fait tomber la pluie.

    Les cours d'eau, les bras de mer, les étangs, les rivières et les lacs ont leurs dragons-esprits.

    Pendant l'hiver, les dragons s'enfoncent dans les entrailles de la Terre. Ils remontent à la surface au début du deuxième mois, pour apporter les pluies fécondantes. Le deuxième jour, ils sont honorés avec des feux d'artifice.

    Le rite du Qiu se déroule pendant les périodes de sécheresse. Pour invoquer le pouvoir bienfaisant du dragon d'eau, un dragon de papier est fixé à une armature de bois et placé dans un lit de rivière asséché. Les chamanes lancent des incantations et frappent des tambours pour imiter le grondement du tonnerre, invitant, par ce bruit caractéristique, le roi-dragon à libérer la pluie.

    Les combats et les accouplements de dragons font aussi venir la pluie. Ils sont symbolisés par les « joutes des bateaux dragons ».

    Les oeufs de dragons, brillants, nacrés, multicolores, iridescents, naissent des souffles mêlés des dragons mâles et femelles, sur les berges des rivières. Ils peuvent contrôler la météorologie.

    Le Sculpteur de paysages
    Le dragon représente les forces changeantes de la Nature, la mutation des espaces au rythme des saisons, les ondulations étranges des roches et de la terre.

    Les montagnes et les collines ont été façonnées par le passage ou le souffle incandescent des dragons. Les très vieilles pierres sont associées à leurs dents et à leurs os.

    Le Seigneur de la végétation
    Les dragons verts incarnent la force contenue dans les graines et les bourgeons, l'énergie sinueuse des feuilles et des branches. Ils crachent des bouquets verdoyants.

    A la période du solstice d'hiver, ils combattent, de manière rituelle, et leur sang noir et jaune se répand sur la terre pour que renaisse le printemps.

    D'après la légende, le jade est né de l'union de la semence du dragon avec la terre, au moment où pulsent les énergies printanières.

    Le magicien des éléments
    De nombreux dragons vivent dans les nuages dont ils tissent les contours avec leurs griffes ou qu'ils engendrent avec leur haleine. Liés au vent, aux orages fécondants et au tonnerre, ils peuvent provoquer des cyclones et des tsunamis.

    Ils ont aussi une incidence sur les heures du jour et de la nuit. Un dragon crée le jour en ouvrant les paupières et ferme les yeux pour appeler l'obscurité.

    Certains dragons suscitent des éclipses en poursuivant la lune et le soleil.

    Le médiateur entre les mondes
    A certaines périodes, les dragons sont chevauchés par les âmes qu'ils emportent dans l'au-delà.

    Dans les régions montagneuses, des bannières représentant des dragons claquent au vent pour attirer les bons esprits.

    Image25 Quand il ne conduit pas les âmes vers les mondes célestes, le dragon poursuit une grosse boule brillante, jaune et dorée, qui symbolise le renouveau, la graine de lotus, émanation des nourritures terrestres et spirituelles.

    Le Dragon et la Perle

    Image26
    Au creux de sa gorge ou de sa bouche, entre ses griffes ou dans un luxuriant palais situé au fond des mers, le dragon protège la perle sacrée, emblème de la « parole précieuse ». Des intrépides tentent parfois de la dérober car elle a la réputation d'exaucer les voeux.

    Quand deux dragons jouent avec une perle, celle-ci incarne « la balle du tonnerre ». En montant très haut dans les airs et en roulant brusquement sur le sol, elle attire les pluies fertilisantes et stimule le réveil de la Nature.

    D'après la croyance populaire, en Chine, le tonnerre féconde les coquillages et les perles s'y développent, gorgées de clarté lunaire.

    Symbole de sagesse et de connaissance, de chance et d'immortalité, la perle est bénéfique pour le sang et les yeux. La tradition voulait qu'une perle soit placée dans la bouche des défunts fortunés.

    L'Empereur Dragon
    Le dragon apparaît comme l'emblème du pouvoir harmonieux, celui de l'Empereur, fils du Ciel et de la Terre et médiateur entre les « différents plans de réalité ».

    Image27

    L'empereur T'ai Tsung de la dynastie des Tang (626-649).



    Le dragon à cinq griffes était représenté sur les vêtements impériaux, les murs des palais et les objets à caractère rituel ou décoratif.

    Pour l'anecdote, le dragon à quatre griffes est un des symboles de la Corée et le dragon à trois griffes, d'inspiration Japonaise.

    Le Gardien de l'Ordre cosmique
    Image28
    Un gu ou tambourin, orné d'un dragon. Reflet de l'harmonie du cosmos, la musique tisse un lien subtil entre le Ciel et la Terre.

    Les cloches possèdent un anneau de suspension en forme de dragon.

     



    Image29 Ces dragons représentent les cinq éléments de la cosmogonie chinoise: le bois (vert), le feu (rouge), la terre (jaune), le métal (blanc) et l'eau (noir), reliés par des cycles complexes. (L'illustration est issue du livre intitulé Voies et vertus de la médecine chinoise de Jean-François Cludy et Régine Tiburce-Cludy, P.21).

    Le chiffre du Dragon

    Il s'agit du chiffre neuf, quintessence de sagesse et de chance.

    Image30

    Un des dragons du Mur des Neuf Dragons de la Cité Interdite.



    Sur ce magnifique mur, construit en 1774, sous le règne de l'empereur Qian-Long et composé de 270 carreaux de céramique vernissés, ondulent neuf dragons sacrés, protecteurs du sanctuaire impérial contre les esprits maléfiques. Sur un fond tourbillonnant de vagues et de nuages, les dragons cherchent à attraper une perle.

    Une immense variété de Dragons
    Les dragons chinois sont de puissantes divinités, des rois des mers, des gardiens de trésors et de lieux sacrés, des médiateurs entre les mondes, des fondateurs de temples et de cités. Ils insufflent l'étincelle de vie, règnent sur les eaux célestes et matricielles, propagent la sagesse des dieux et des ancêtres. Le plus souvent bienveillants, ils possèdent un tempérament ombrageux, versatile et capricieux et transforment parfois les ondes telluriques en fluides mortifères mais cette part sauvage et chaotique de leur caractère n'affaiblit pas la vénération qu'ils suscitent.

    Tian-lung est le dragon céleste, le protecteur des palais divins qu'il soutient avec sa colonne vertébrale.

    Shen-lung est un magnifique dragon, doté d'écailles azurées. A partir de la dynastie des Han (206 avant J.-C. -220), ce dragon bleu-vert se présente comme le symbole de l'empereur et de l'Orient, de la pluie printanière et du soleil levant. Il règne sur le cinquième signe du Zodiaque et préside au renouvellement de la végétation. Il danse sur les nuages et fait tomber la pluie sur les cultures. On invoque son énergie fécondante mais il peut lever des tempêtes et des vents destructeurs.

    Di-lung règne sur les sources et les cours d'eau.

    Fu-zang-lung est le gardien des trésors et des objets magiques. Il connaît l'emplacement des veines précieuses de la terre et des filons métallifères.

    Huang-lung est le cheval dragon ou le dragon jaune. Il a jailli du fleuve Jaune mythique et s'est incliné devant l'empereur légendaire Fu Hsi avant de lui transmettre les secrets de l'écriture et du Yi King.

    Le dragon blanc représente l'Occident et la mort. Le souverain des eaux de l'est, du nord, du sud et de l'ouest est un majestueux dragon rouge-sang. Les dragons dorés concentrent une infinité de pouvoirs.

    Image31
    Omniprésent dans les croyances chinoises, le dragon ouvre les portes d'une année considérée comme propice pour la réalisation des projets et les naissances car les « enfants du dragon » sont réputés éloigner le malheur et les coups du sort.

    Image32
    Image33
    Pour célébrer l'année du Dragon, la Maison de Thé Mariage Frères a élaboré un thé vert, fruité et acidulé, aux baies de goji du Tibet.

    Image34

    On peut contempler cette belle vitrine dans le Carrousel du Louvre.



    Image35

    Un dragon de cristal signé Lalique.



    Jusqu'au 10 février 2013, où son règne sera remplacé par celui du Serpent, le Dragon nous insufflera son charisme et sa vigueur flamboyante. On l'invoquera secrètement pour attirer la chance, le bonheur et la prospérité même s'il faudra sûrement composer avec les turbulences de son caractère...

    Dans les contes et les légendes d'Occident, les récits religieux et l'imaginaire collectif, les dragons sont malheureusement perçus comme des tueurs impitoyables. Souvent dotés, comme les démons, de grandes ailes membraneuses, il font preuve d'une voracité sans limites et tombent sous les coups de lance ou d'épée des saints guerriers. Mais ils apparaissent aussi comme des initiateurs, liés aux anciens cultes agraires. Je leur consacrerai un article dans quelques temps.

    Je vous souhaite à présent une excellente année sous le signe du Dragon Chinois et vous invite à explorer avec passion les mondes fabuleux et les traditions millénaires qu'il gouverne!

    Image36

    Un « papertoy » dragon signé Tina Kraus, illustratrice allemande.




    Image37

    Bonne année: Xῑnnián hăo!



    Bibliographie

    Marcel GRANET: La civilisation chinoise. Albin Michel, 1930. La pensée chinoise. Albin Michel, 1994.

    Martine LEYRIS: La Chine du dragon impérial, collection »Les grands Empires » chez Robert Laffont, 1982.


    Image38

    Plume4

    Partager via Gmail Delicious Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks Pin It

    104 commentaires

  • Image1
    A l'occasion des fêtes de Noël, je suis revenue à Bordeaux, ville chère à mon coeur... J'y ai vécu pendant longtemps, rencontré mon mari, tissé des amitiés indéfectibles, effectué mes études universitaires. J'aimerais vous faire découvrir cette perle d'Aquitaine, au gré de quelques promenades.

    La Fontaine des Girondins trône sur la gigantesque Place des Quinconces, à l'emplacement d'un château féodal disparu, le Château Trompette. Construit entre 1894 et 1902, ce monument rend hommage aux députés girondins exécutés pendant la Terreur.


    Image2
    De part et d'autre d'une colonne de 43 mètres de hauteur, surmontée par un Génie de la Liberté brisant ses fers, s'étalent deux bassins grandioses. Le premier est consacré au Triomphe de la République, le second au Triomphe de la Concorde.

    Image3

    Le Triomphe de la République



    Image4

    Le Triomphe de la Concorde

     

     


    Une histoire mouvementée


    En 1868, l'architecte Julien Guadet (1834-1908), petit-neveu du député Élie Guadet (1758-1794), conçut, pour la Place Dauphine (l'actuelle Place Gambetta), un projet de monument à la mémoire des Girondins, mais celui-ci ne vit jamais le jour.

    En 1887, le Conseil Municipal de Bordeaux lança un concours pour la création d'un monument commémoratif sur les allées de Tourny. Le sculpteur Jules Jacques Labatut (1851-1935) et l'architecte Pierre Joseph Esquié (1853-1933) remportèrent le premier prix avec leur projet intitulé « Ainsi fait qui peut ». Mais ce dernier ne fut jamais réalisé et le second prix, appelé « Gloire aux vaincus », oeuvre du sculpteur Achille Dumilâtre (1844-1923) et de l'architecte Henri Deverin (1846-1921) fut sélectionné.

    Le Conseil Municipal avait aussi commandé une fontaine au sculpteur Frédéric Auguste Bartholdi (1834-1904) pour décorer la Place des Quinconces mais l'oeuvre, jugée trop coûteuse par les bordelais, fut achetée par la ville de Lyon et installée sur la Place des Terreaux.

    A partir de 1894, les travaux de la colonne-fontaine des Girondins débutèrent sous la direction de l'architecte Victor Rich. Achille Dumilâtre en conçut la scénographie et s'entoura des sculpteurs Félix Charpentier (1858-1924) et Gustave Debrie (1842-1925).

    En 1942, les 34 statues de bronze furent descellées par l'armée allemande, en vertu de la loi sur la récupération des métaux non ferreux mais on les retrouva intactes à Angers en octobre 1944. En juillet 1945, elles furent triomphalement restituées à la ville de Bordeaux avant d'être abandonnées sous le Pont d'Aquitaine. Il fallut attendre 1968 pour qu'elles jaillissent de l'oubli, grâce à un ancien réfugié espagnol.

    Une association lutta auprès du maire Jacques Chaban-Delmas pour que les « Girondins » retrouvent la place qui leur était due. Sous la direction du musée d'Aquitaine, les statues ont été restaurées, dans des hangars situés sur les quais de Bordeaux.

    En janvier 1983, on les réinstalla de part et d'autre de la colonne de la Liberté.

     

    Le Triomphe de la République



    Image5
    La République siège dans un char en forme de coquille, tiré par deux impressionnants chevaux marins. Elle brandit un sceptre et un globe et regarde en direction du Grand Théâtre de Bordeaux. Elle est accostée par deux groupes sculptés qui évoquent le Service Militaire et l'Instruction Publique.

    Image6

    Les pattes palmées de ces chevaux des mers sont impressionnantes.



    Image7
    Les trois chérubins évoquent le Service Militaire. L'enfant au drapeau se dresse fièrement à côté de l'enfant licteur.

    Image8
    Dans la Rome antique, les licteurs constituaient l'escorte des magistrats possesseurs de l'imperium (le pouvoir légitime de contraindre et de punir).

    Image9

    La Conscription fut instituée en 1798 par la loi Jourdan-Delluel mais la loi du 29 décembre 1804 qui institua le tirage au sort (chaque canton français devait fournir un quota d'hommes fixé à 30 ou 35% des effectifs) en tempéra les aspects. Ce système de « loterie » ne fut supprimé que le 21 mars 1905.

    Image10
    L'Instruction Publique Obligatoire fut instituée par la loi Ferry, le 28 mars 1882 mais pendant la Révolution Française et après la Révolution de 1848, des députés tentèrent de rendre l'éducation accessible à de nombreux enfants. Fixée à l'origine entre 6 et 13 ans, l'Instruction Publique fut prolongée à 14 ans en 1936 puis à 16 ans, avec l'Ordonnance du 6 janvier 1959, promulguée par le président Charles de Gaulle. Elle est désormais appelée « Obligation Scolaire ».

    Image11

    Livres et abécédaires constituent les bases d'une société éclairée.



    Image12
    La République triomphante s'appuie sur le travail (représenté par un forgeron), la défense de la patrie et l'alphabétisation qui ouvre les portes de la connaissance. Dans sa main droite, elle tient une sphère qui suscite les interrogations. En effet, sur les cartes postales des années 1900/1905, la sphère était surmontée par trois petites statuettes qui représentaient la Liberté, l'Égalité et la Fraternité. Elles ont probablement été dérobées et, bien que les opinions diffèrent à ce sujet, il semblerait qu'elles aient été vendues aux enchères.

    Image13

    Image14

    Image15
    Avec leur fougue tourbillonnante, les chevaux marins précipitent dans l'abîme trois personnages qui incarnent le mal, combattu par la République.

    Image16

    Le Mensonge séducteur, le Vice aux oreilles de porc et l'Ignorance qui dissimule sa honte.



    Image17

    L'homme au masque dont je vous laisse apprécier la plastique...



    Image18

    La beauté graphique des corps et des lignes entremêlées...

     

     


    Le Triomphe de la Concorde

    Image19  

    La déesse Concorde regarde en direction du Quai des Chartrons, un des hauts lieux de négoce du vin. Elle engendre, après les troubles civiques, la Réconciliation et la Fraternité, ciment de l'Abondance au coeur de la Cité.

     

    Image20 Image21
    La Fraternité


    Image22
    Incarnation de la Paix, la Concorde brandit un rameau d'olivier. Elle est entourée par deux groupes de trois chérubins.

      Image23

    Les allégories des Arts et des Sciences



      Image24

    La Sculpture, la Peinture et la Musique sont couronnées par les lauriers de la Gloire.



      Image25

    L'Industrie et le Commerce



    Ces ravissants chérubins célèbrent la grandeur industrielle de la France et la prospérité de la ville de Bordeaux, indissociable du commerce du vin, symbolisée par l'enfant au tonneau.

      Image26
    Dotés de pattes griffues et d'une queue de dragon, ces chevaux fantastiques, réalisés par le sculpteur Gustave Debrie, annoncent un ordre nouveau.

      Image27
    Le Triomphe du Bonheur, représenté par un homme, une femme et un chérubin qui chevauche un dauphin joueur.

      Image28

    Au-dessus des bassins, s'élève la colonne de la Liberté, appuyée sur un socle décoré de masques et de poissons fantastiques. L'ensemble, réalisé par un certain Corgolin, dessine une promenade qui permet d'observer à loisir les foisonnantes sculptures.

      Image29
    Au pied de la colonne, la ville de Bordeaux, altière, domine deux naïades souriantes, allégories de la Garonne et de la Dordogne. Les deux fleuves se rejoignent pour former l'estuaire de la Gironde.

      Image30

    La ville de Bordeaux est assise entre la proue d'un navire et une corne d'abondance. Luxuriante et prospère, elle s'est développée autour de son port, poétiquement appelé « Port de la Lune » et inscrit au Patrimoine Mondial de l'Humanité, depuis le 28 juin 2007, au titre d' « ensemble urbain exceptionnel ». Célèbre depuis l'Antiquité, ce port a suscité l'essor de la ville, fondé sur le négoce international, la traite des esclaves, le commerce du vin et des matières précieuses.


    Image31

    La très sensuelle Garonne...



    Image32

    et la Dordogne, son pendant non moins voluptueux...

     


    Image33 Le Coq Gaulois, incarnation solaire et patriotique, déploie ses ailes entre l'Histoire et l'Éloquence, qui tient un parchemin.

      Image34
      Image35

    L'Histoire

      Image36

    L'Éloquence



    Sous le coq, se dévoile une plaque en l'honneur des Girondins exécutés pendant la Terreur. Leurs statues devaient être installées sur des piédestaux, au-dessus des deux fontaines, mais leurs ébauches furent détruites par une tempête dans l'atelier d'Achille Dumilâtre. Vers le Grand Théâtre, auraient dû siéger Pierre-Victurnien Vergniaud, François Buzot, Charles Jean-Marie Barbaroux, Jacques Pierre Brissot et Jérôme Pétion de Villeneuve. Vers les Chartrons, Élie Guadet, Armand Gensonné, Jean-Antoine Grangeneuve et Jean-Baptiste Boyer-Fonfrède.

    Pendant la Révolution Française, les Girondins formèrent un groupe politique appelé « la Gironde », composé de plusieurs députés originaires d'Aquitaine et opposés aux Montagnards.

    Ils voulurent étendre le message de la Révolution aux peuples européens et se prononcèrent pour la guerre contre les puissances monarchiques d'Europe. A ce sujet, leur chef de file, Jacques Pierre Brissot, cristallisa le ressentiment et la haine de Maximilien de Robespierre.

    Jacques Pierre Brissot, dit Brissot de Warville, naquit à Chartres le 15 janvier 1754 et fut guillotiné à Paris le 31 octobre 1793. Il fut l'une des figures majeures de la Révolution Française.

      Image37

    Au soir du 14 juillet 1789, il reçut les clefs de la Bastille qui venait de tomber. Il avait créé quelques mois auparavant, un journal républicain, le Patriote français, qui parut du 10 avril 1789 au 2 juin 1793.

    Le 17 juillet 1791, il rédigea la pétition pour la déchéance du roi Louis XVI et demanda la proclamation de la République. Puis il s'insurgea contre la condamnation à mort du roi (qu'il avait pourtant votée) car elle s'effectuait sans l'accord du peuple. Il fut « mis en arrestation » le 2 juin 1793, condamné à mort le 30 octobre 1793 et exécuté le lendemain.

    Issu d'une famille de magistrats girondins, Élie Guadet (1758-1794) fonda, avec Arnaud Gensonné (1758-1793) et Pierre-Victurnien Vergniaud (1753-1793) le groupe des Girondins dont la renommée continue de briller, dans un lieu emblématique de la ville, malgré l'absence de leurs statues.

      Image38

    Élie Guadet



      Image39
    Le Génie ailé qui brandit des fers brisés et les palmes de la Victoire se veut une expression de la liberté des peuples au nom de laquelle tant de sang a coulé. D'une hauteur de 5,85 m, il échappa à la convoitise des allemands. En 2005, il fut descendu de la colonne, restauré  et remis en place pour les Journées du Patrimoine.

    Pour terminer cette promenade historique d'une richesse infinie, je voudrais revenir vers les Chevaux Fantastiques qui jaillissent de l'onde, en direction des axes majeurs de la ville.

      Image40

    Dans l'Antiquité, les créatures anguipèdes surgissaient des mondes chthoniens. Leurs formes serpentines évoquaient les ondes telluriques et les courants aquatiques. Médiateurs entre le monde humain et celui des divinités, ces êtres hybrides se révèlent les protecteurs des forces vives et des secrets de la ville.

      Image41
    La puissance presque érotique des crinières et des croupes, heurtées par la lumière...

    Le Monument aux Girondins est un lieu de mémoire, de rencontre et d'inspiration artistique. Érigé tel un phare au-dessus de l'esplanade des Quinconces, la plus vaste d'Europe avec ses 126.000 m2, il est un symbole des heures sombres et des fastes de la ville. Inscrit dans une élégante scénographie urbaine, réécrite il y a peu, il célèbre les héros d'autrefois et chacune de ses faces tisse une rose des vents tournée vers les points cardinaux de la cité.

    Image42

     

    Plume4

    Partager via Gmail Delicious Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks Pin It

    103 commentaires